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détruire les bruits qui ne circulent pas moins dans le West-End que dans le faubourg Saint-Honoré. Il est évident que l’ancien secrétaire d’état des affaires étrangères veut faire oublier 1840. Le noble lord a eu l’honneur de dîner chez le roi.

Pendant que le cabinet britannique voit s’accumuler les difficultés au sein du parlement, la fortune de l’Angleterre la porte à Lahore, et complète d’une manière inespérée l’œuvre entreprise il y a un siècle par le génie de lord Clive. Une courte campagne a conduit l’armée anglaise aux portes de la cité sainte, et la victoire d’Alliwal livre à l’Angleterre l’antique royaume de Porus, et ces provinces magnifiques qui s’étendent de l’Indus au Sutledge, du rivage de la mer au pied de l’Himalaya. Cette riche contrée va s’ajouter comme un annexe obscur aux empires engloutis de Tippo-Saïb et de Timour. C’est la conquête la plus considérable accomplie par les armes britanniques depuis la chute de l’empire de Mysore ; c’est le complément de l’œuvre gigantesque à laquelle une série de grands hommes ont attaché leur nom. L’Angleterre n’a rien à faire au-delà de la chaîne de l’Himalaya, car dès aujourd’hui la possession du Pundjaub la rend maîtresse de toute la production industrielle de ces riches vallées qui alimentaient le trésor de Runjet-Sing. Les Sickhs ont clos par une dernière et glorieuse page l’histoire de ces peuples indigènes dont on conservera à peine le nom. Étrangers, par leurs croyances religieuses, au funeste régime des castes, qui semble avoir pétri ces millions d’hommes pour un esclavage éternel, les anciens sujets de Runjet avaient profité, au-delà de toutes les espérances, des exemples et des leçons que leur avait apportés le génie européen. Ils se sont montrés dignes d’avoir été formés par des Français, et de voir nos couleurs flotter en tête de leurs phalanges. Rien n’est plus saisissant que l’héroïsme inutile, rien n’est plus triste qu’une grande tentative impossible. L’Europe avait prononcé sur le sort de Lahore avant de connaître les nouvelles apportées par le dernier paquebot, nouvelles qui ont fait éclater à Londres un si vif enthousiasme. L’Asie est fatalement condamnée à reculer devant l’Angleterre, comme l’Afrique à céder devant la France.

Des complications nouvelles paraissent sur le point de se produire entre l’Angleterre et le gouvernement du céleste empire à l’occasion du traité conclu par sir Henri Pottinger. Canton est resté fermé aux étrangers, quoique compris au nombre des cinq ports déclarés accessibles au commerce européen. Cette clôture paraît beaucoup moins déterminée par le mauvais vouloir du gouverneur que par la crainte des violences populaires auxquelles donnerait lieu la présence des Européens dans cette grande cité ; mais sir John Davis n’admet aucune excuse et encore moins aucun retard, et les derniers arrivages nous ont apporté la sommation péremptoire adressée par lui au commissaire Ki-Yng. Si les Anglais ne sont pas admis dans Canton, le traité de Nankin sera considéré comme non avenu, et l’île de Chusan restera aux mains de sa majesté britannique. On comprend tout ce qu’une telle menace peut entraîner de conséquences.

L’irritation s’accroît de jour en jour contre les étrangers. Des troubles ont eu lieu à Canton ; le peuple a incendié plusieurs maisons et menacé les factoreries des Européens, qui ont dû réclamer le secours des commandans anglais et américains. On peut, à bon droit, s’étonner qu’en de telles occurrences nos forces navales soient en partie rappelées, et que notre légation, après avoir passé en