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fond des choses ? M. de Cormenin a souvent répété qu’il avait un esprit indépendant : c’est vrai ; mais cet esprit indépendant est mobile, irritable, ouvert à toutes les impressions, amoureux des applaudissemens. Le petit écrit Oui et Non avait reçu des écrivains du clergé de vifs éloges ; il y eut même un prélat qui appela M. de Cormenin un homme providentiel et suscité d’en haut. Louanges funestes, breuvage enivrant ! Désormais M. de Cormenin n’écrira plus que pour être exalté par le clergé, comme il le fut pendant un temps par le parti radical ; il a changé de public, nous pourrions dire de maître, et cette indépendance dont il se prétend si jaloux, il l’a encore une fois aliénée.

Puissions-nous nous tromper ! M. de Cormenin est arrivé à une époque dans sa vie et dans sa renommée où il doit vouloir n’appartenir qu’à lui-même, et n’être l’instrument d’aucune faction, d’aucune coterie. Pour être nouvelles, les convictions religieuses de M. de Cormenin n’en sont pas moins sincères, nous le croyons. Nous ne dirons pas qu’il se fait le flatteur du clergé, après avoir été celui du peuple, parce que, dans ses Entretiens de village, il nous montre l’église comme le centre naturel de toutes les affections morales de la communauté villageoise. C’est au village que la religion est surtout sainte et belle ; c’est au village qu’un curé aussi pauvre que ses rustiques paroissiens, une église souvent vieille et délabrée, un autel qui n’a d’autre parure que les fleurs des champs, donnent à la religion une incomparable majesté. C’est là que la religion, toujours bonne et salutaire, mérite l’amour et le respect de tous, des savans non moins que des simples d’esprit. Nous avons d’autres sentimens pour ceux qui, au nom du christianisme, excommunient leur pays, maudissent la science, la civilisation ; et calomnient leur siècle pour l’effrayer de lui-même, pour en saisir l’empire.

Dans ses Entretiens de village, M. de Cormenin semble dire adieu au pamphlet. En 1834, plusieurs de ces entretiens villageois avaient paru sous le titre de Dialogues de maître Pierre. M. de Cormenin annonce qu’il les a refondus ; la vérité est qu’il a supprimé complètement six dialogues qu’il avait consacrés, en 1834, au développement de ses principes démocratiques,et qu’il avait appelés dialogues politiques pour les distinguer de ceux qui suivaient sous le titre de dialogues utilitaires. Dans cette première partie, l’auteur traitait de la souveraineté du peuple et demandait un congrès national qui devait établir le gouvernement du pays par le pays ; puis venaient des tableaux populaires, une scène avant les élections, une autre après la nomination du député ; enfin maître Pierre allait au Palais-Bourbon pour y apercevoir le représentant de son endroit, M. Nicolas, auquel les ministres souriaient et tendaient la main. Aujourd’hui M. de Cormenin a fait disparaître tout cela, et son nouvel ouvrage, où se trouvent refondus les dix dialogues utilitaires de la première édition, nous offre quarante et un entretiens roulant sur des