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et de sa beauté éclatante, ignorant que le plus grand costume est d’en avoir très peu, l’a prise pour ce qu’elle n’était pas et lui a tourné le dos. Je dois nommer surtout l’honorable mistriss Damer Dawson[1], qui est bien une des plus aimables causeuses de salon qui aient jamais pris la plume. Sa vivacité et sa bonne humeur de bon ton ne l’abandonnent jamais, et, sans affecter de prétentions pédantesques, sans viser au beau langage et à l’imagination, elle a le style le plus vivace, le plus léger et le plus doré qui se puisse imaginer, un vrai style de boudoir. C’est elle qui veut transférer à Londres, pour éclairer une fête, cinq à six esclaves porteurs de torches, qu’elle regarde comme de beaux chandeliers vivans. C’est elle aussi qui, après avoir placé dans sa collection de barbes autobiographiques les dépouilles de Napoléon, de Nelson et de Washington, adressa la même requête à Méhémet-Ali. « Elle lui aurait demandé sa tête, dit à ce propos un Anglais fort spirituel, qu’il aurait été moins surpris. » Cependant il se rappela que mistriss Damer Dawson avait de beaux yeux européens, ce qui est sur la face du monde une valeur réelle, et il lui légua par testament cette même barbe dont la possession est, par acte authentique, assurée aux héritiers légitimes de mistriss Damer Dawson.

Je n’ai pas caché ma préférence pour les voyageuses lointaines et qui nous apprennent quelque chose ; telles sont mistriss Meredith, l’auteur des Lettres de Madras, mistriss Houston et mistriss Rigby. Ce sont femmes de courage, de persévérance et d’indépendance, qui ne craignent pas d’accompagner au bout du monde les objets de leurs affections ; ces qualités morales se transforment souvent en un excellent style, plein de vigueur et de coloris. Mistriss Rigby, par exemple, dans ses Lettres écrites des bords de la Baltique[2], a donné des renseignemens tout-à-fait inconnus à l’Europe sur une région rarement visitée par les voyageurs, l’Esthonie. Son style n’est pas seulement facile et gracieux, il s’élève quelquefois jusqu’à la beauté pittoresque, et reproduit avec vérité les sensations d’une nature distinguée et d’un esprit rare. Immédiatement après son retour en Angleterre, mistriss Rigby a succombé aux fatigues de la route, et son mari, qu’elle accompagnait, publie son agréable ouvrage, avec cette dédicace d’une bizarrerie touchante : À celle dont la présence rendait chaque plaisir plus vif, dont l’affection allégeait toutes les souffrances, et dont le souvenir a prêté à la révision de ces lettres un charme douloureux, je dédie son propre volume.

En effet, ce petit volume de Mme Rigby est un des plus aimables livres

  1. Syria, Egypt, etc., by mistriss Damer Dawson ; 2 vol., 1845.
  2. Letters from the shores of the Baltic. 1 vol. Murray, 1846 (Colonial Library).