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ses premiers sentimens. En 1844, il publia la Légomanie, où il s’éleva contre l’initiative parlementaire, où il défendit la prérogative royale, à l’occasion du projet de loi sur le conseil d’état, se félicitant d’être d’accord sur ce point avec un très haut et très puissant personnage, où enfin il eut pour plusieurs ministres des paroles flatteuses. Ce langage était remarquable de la part de l’auteur des Lettres sur la Liste civile, qu’il avait appelées ses Philippiques. Que se passait-il donc dans l’esprit de M. de Cormenin ? L’an dernier, il fit paraître Oui et Non. M. le cardinal de Bonald avait, dans un mandement, attaqué les libertés de l’église gallicane ainsi que le concordat, et le conseil d’état avait déclaré qu’il y avait abus dans le mandement de M. le cardinal. Alléguant qu’il n’était ni jésuite, ni janséniste, ni ultramontain, ni gallican, M. de Cormenin prit parti pour le cardinal contre le conseil d’état, et il demandait pourquoi, lorsque tout se dégrade, se flétrit et se meurt, il n’y avait d’indépendance que dans le clergé ! Cette fois on se fâcha dans le parti démocratique, et ses journaux adressèrent de sévères remontrances à ce nouveau défenseur de l’église. Loin de tenir compte de ces réprimandes, M. de Cormenin s’en fit lui prétexte pour pousser les choses à bout, et il publia une réponse qu’il intitula Feu ! Feu ! Ce fut une volte-face complète, une explosion de tout ce que la passion put suggérer au pamphlétaire offensé. « Il faut, s’écriait-il, que ces prétendus démocrates qui m’insultent sachent que je suis trop fier pour obéir à leurs caprices, et trop courageux pour ne pas leur dire la vérité. » Un pareil ton fit crever la tempête, et une nuée de petits écrits vint tomber sur M. de Cormenin. On vit paraître alors : Feu contre Feu, Feu et Flamme, Eau sur Feu, Feu Timon, Paix ! Paix ! Boulet rouge, etc. Quelle mêlée ! quel tapage ! Dans tous ces pamphlets et dans d’autres encore, on criait à la trahison ; on y démontrait que M. de Cormenin n’avait jamais été un vrai démocrate : c’était s’en apercevoir un peu tard.

M. de Cormenin devait renoncer aux opinions qui l’avaient séduit en 1830. Il avait vécu trop long-temps dans les idées d’ordre et de gouvernement, dans l’étude et dans l’application des lois, dans le respect des institutions monarchiques, pour ne pas quitter un jour le parti radical, auquel il n’avait prêté son talent et sa plume que dans l’espoir et en échange d’une popularité bruyante ; mais pourquoi ce retour naturel à ses premières doctrines coïncide-t-il avec des exagérations d’une autre sorte ? M. de Cormenin revient aux principes conservateurs de l’ordre social, et en même temps il se déclare l’adversaire du pouvoir civil ; il n’a pour la société tout entière, pour la bourgeoisie comme pour la jeunesse, que des paroles d’injure et d’anathème ; il écrit que la jeunesse polke, et que la bourgeoisie ripaille. Est-ce avec un pareil style que M. de Cormenin se flatte d’entrer à l’Académie française ? Comment perdre à ce point toute mesure dans le langage, toute équité pour le