Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.

çaise est devenue ? Nous avons des Wolstonecraft et des miss Burney par pacotilles. Nos femmes font de la philanthropie et du sentiment pieux comme Hannah More ; elles écrivent l’anecdote comme miss Seward ; elles traduisent l’allemand comme Sarah Austin. Vous n’avez donc pratiqué la femme française que dans ces livres où les marquises du XVIIIe siècle écrivent ge vous ême, ce dont elles étaient fort capables. Nos femmes aujourd’hui orthographient tout cela ; hélas ! elles produisent l’ode, elles couvent le dithyrambe, elles se hasardent dans le problème mythique et vont jusqu’à la statistique. Mistriss Somerville trouverait des rivales astronomiques parmi nous, et nos cabinets de lecture regorgent de livres féminins. La femme sans orthographe dont vous parlez est devenue une rareté précieuse, et, si l’écrivain anglais l’a déterrée pour ses menus plaisirs, nous ne savons pas trop où il aura pu la trouver. Chaque jour, la femme illettrée disparaît et se cache dans nos provinces les plus lointaines. Celle qui n’a pas écrit de stances à la lune et au chèvrefeuille commence à n’être pas commune ; celle qui est pure de toute nouvelle sanglante ou incendiaire ne se présente pas chaque jour ; quant à la femme vierge de contact avec le roman-feuilleton, je ne sais dans quel département voisin des Pyrénées ou des Alpes on pourrait la découvrir. Ô chevalier anglais, galant pour les Saxonnes et trop injuste pour les Gauloises ! nous ne ferons pas payer aux femmes de la Grande-Bretagne le trop juste prix de vos étourderies ou de vos vengeances ! Auriez-vous quelque sujet de plainte contre nos compatriotes ?

Parlons sérieusement. Il serait temps que les deux nations qui commandent aujourd’hui le mouvement continental et le mouvement maritime de la société européenne se connussent mieux mutuellement et se rendissent une justice plus complète. Libre aux Anglais d’accabler de leur risée ce voyageur qui vient de publier en 1845 un livre où il affirme que les dames anglaises passent leurs nuits et leurs jours à dévorer des pâtisseries, et ces narrateurs qui introduisent dans le salon des familles de la vieille pairie des escrocs de bas étage ; nous rirons à notre tour de ces pages anglaises où nos femmes sont représentées comme ne sachant pas lire, et de ces autres pages éloquentes où l’on soutenait, il y a huit jours, dans une des publications les plus répandues à Londres, que notre génération française, indifférente à l’industrie et au commerce, est livrée à l’hallucination de la gloire et au charme des conquêtes. Deux peuples non-seulement voisins, mais formant l’avant-garde du monde civilisé, devraient ne plus parler l’un de l’autre avec cette ignorance bizarre ; c’est un service à rendre à la civilisation que de détruire ces derniers vestiges de barbarie.

La femme française, que l’on ne peut accuser de manquer d’esprit, mais dont l’ancienne monarchie cultivait l’intelligence et le savoir-