accompagnées de l’éternel album, de Paris à Florence et de Florence a Marseille, à travers Chambéry, le Simplon, le Languedoc et la Provence. Certaines frètent un yacht, le Dauphin ou l’Espérance, tournent le promontoire de Calpé, circumaviguent la péninsule ibérique, disent bonjour en passant à l’empereur de Maroc, et daignent toucher terre un matin, si le ciel gronde ou menace, si les orangers du rivage les attirent et les séduisent. Le même yacht sert à d’autres, plus hardies, pour traverser l’Atlantique et les jeter, toujours l’album en main, sur les plages nouvelles où la civilisation commence à se faire jour, les prairies du Nouveau-Monde et les montagnes décharnées de l’Orégon. Il en est qui, désertant leur race et leur patrie, acceptent la loi nouvelle d’un mari espagnol ou italien, et sont conduites, par la souple facilité de leur sexe, à railler vivement leurs anciennes amies et à se permettre de bonnes épigrammes contre les mœurs de May-Fair et le cant de Londres ou d’Édimbourg. Quelques-unes, surtout celles dont la main est encore à donner, procèdent par admirations anglaises et par citations savantes ; elles résument Plutarque, donnent des étymologies d’après Hésychius, analysent Gibbon, copient Villani, et ne décrivent pas le Vatican sans que le chevalier Lanzi, Micali, Mme de Staël, Rosini et Roscoë viennent à leur aide. Ce sont ’celles-là que j’aime le moins.
Mais savez-vous qu’en cinq ou six années cette locomotion merveilleuse de la race féminine anglaise a produit à peu près quinze mille pages, sans compter les aquatintes, lithographies et gravures sur acier dont leurs jolis volumes sont ornés ? Ces éclaireuses du genre humain ne sont pas toutes assurément des femmes de génie ou même d’esprit. Parmi tant de souvenirs personnels et de journaux de voyage tracés au retour, sous les yeux des amis attentifs et ravis, il y a bien des frivolités sérieusement dites, bien du jargon de bonne compagnie, bien de l’érudition trop facile qu’il ne faudrait pas réimprimer, — par exemple, quand l’une nous apprend que Gibraltar vient de Gebel-Tarik, et que les Maures sont probablement des Orientaux.
Ce ne serait point toutefois rendre un compte exact de la littérature anglaise et du mouvement subi par elle, que de passer sous silence les nombreuses femmes touristes qui publient tant de volumes après avoir visité tous les pays du monde. Quelquefois elles ont du talent, presque toujours de l’instruction, ou plutôt (comme s’expriment si bien les Anglais) de l’in formation ; elles sont surtout remarquables par cette énergie de volonté et cette vigueur souple qui se marient agréablement à d’autres qualités de leur sexe. On nous accuserait de pousser la généralisation au-delà des limites permises, si nous disions (ce qui est vrai pourtant) que l’héroïne du Nord a toujours eu, et qu’elle porte, dans les premiers poèmes scandinaves et germaniques, le même caractère de résolution féminine et d’indépendance plus dévouée que voluptueuse.