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à son modèle, c’est l’emploi de la lumière. On se demande comment un peintre, qui n’en est pas à ses débuts, a pu exposer au Louvre une pareille ébauche. La flatterie que je crois deviner dans ce portrait ne suffit pas pour intéresser le public ; fausse ou vraie, ma conjecture ne saurait absoudre la négligence avec laquelle sont traitées toutes les parties du visage.

Parmi les quatre portraits de M. Hippolyte Flandrin, il y en a un qui se distingue par une rare habileté. Je veux parler d’une femme vêtue de noir, reléguée, je ne sais pourquoi, au fond de la grande galerie. On pourrait demander à cette toile une couleur plus riche ; mais il est impossible de ne pas admirer le savoir consommé avec lequel M. Flandrin a modelé le visage et les mains. Les yeux sont enchâssés avec une fermeté magistrale, et regardent bien. La main gauche, qui passe sous le coude du bras droit, est dessinée avec une rare élégance. En un mot, c’est une œuvre pleine d’excellentes qualités.

Il y a beaucoup à louer dans un portrait de femme de M. Amaury Duval. La tête et les mains sont dessinées habilement ; mais c’est une idée malheureuse que d’avoir placé le visage de profil comme un médaillon, d’autant plus que le visage manque de relief. Quant au choix de la robe, c’est une méprise que rien ne saurait excuser. Le ton bleu de cette robe a quelque chose de si criard, qu’il enlève à ce portrait la meilleure partie de sa valeur.

Mme L. de Mirbel a quelquefois envoyé au Louvre des miniatures supérieures à celles de cette année. Dans ses deux portraits de jeunes femmes, les bras ont une forme inacceptable, et nous estimons trop haut le talent de l’auteur pour ne pas le juger avec une sévérité absolue. Toutefois, si Mme de Mirbel est cette année inférieure à elle-même, elle n’en conserve pas moins le rang qu’elle a conquis par ses études persévérantes.

La popularité de M. Gudin est aujourd’hui sérieusement menacée, et, selon nous, c’est justice. M. Gudin, en effet, a tant abusé de la faveur publique, il a tellement exagéré les défauts qui déparaient ses meilleurs ouvrages, il a traité son art avec une telle insouciance, il semble attacher si peu de prix à l’approbation des esprits distingués, que l’indifférence est, de la part de la foule, une sorte d’amende honorable à laquelle nous ne pouvons qu’applaudir. M. Gudin avait reçu du ciel des dons heureux dont il n’a pas su profiter, qu’il n’a pas fécondés par l’étude. Il s’est fié sans réserve à la dextérité de son pinceau, et il a négligé obstinément de consulter la nature. Il s’est fait à son usage un ciel, une mer, un soleil, une brume dont le modèle ne se trouve nulle part, dont il porte le type en lui-même, et il a multiplié les exemplaires de ce type singulier au point de fatiguer la patience publique et de produire la satiété. Les nombreuses toiles qu’il nous montre cette année