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les conditions fondamentales du genre que pendant quelques années il a si assidûment cultivé. Le portrait historique et littéraire veut être tracé avec une fermeté, avec une précision décisive : il ne souffre ni tâtonnement, ni rature, ni supplément. L’écrivain n’y peut réussir qu’avec une connaissance intime et complète des hommes et des choses, qu’armé de convictions définitives. Voilà pourquoi il est si difficile de peindre des contemporains qui s’agitent sous nos yeux ; ils changent, l’écrivain aussi, et tout est à recommencer.

Quelle peine M. de Cormenin s’est donnée pour atteindre, dans le Livre des Orateurs, à un style qui pût nous paraître beau ! que de veilles ! que d’efforts ! Ce travail opiniâtre est louable, et, s’il n’a pas tout vaincu, c’est qu’il est des imperfections, des aspérités naturelles, des habitudes invétérées, dont ne saurait triompher la volonté la plus persévérante. C’est assez tard que M. de Cormenin s’est mis en mouvement pour courir après l’éclat littéraire : dans cette laborieuse recherche, il a porté les qualités que nous lui savons, sa verve de raisonneur, ses connaissances profondes de jurisconsulte et de publiciste. Était-ce assez ? Telle manière d’écrire, qui, dans des matières de politique et de législation, sera louée comme ayant une sobriété convenable, une austère simplicité, appliquée à des sujets littéraires, paraîtra sèche et triste. M. de Cormenin l’a compris, et il a voulu se procurer tout ce qui lui manquait. Pendant plusieurs années, il a beaucoup lu ; il n’a rien épargné pour acquérir en littérature des connaissances, un vernis ; aussi, nous le voyons, dans les diverses éditions de son livre, aborder successivement tous les sujets, toucher à tout, comme pour nous montrer ses acquisitions nouvelles. Malheureusement cet estimable labeur n’a pas pour résultat l’harmonie, mais plutôt je ne sais quelle bizarrerie éblouissante, où tous les tons, où toutes les couleurs éclatent à la fois. Ni nuances, ni transitions. Inégal, aride et diffus, dur et brillant, le style de M. de Cormenin, dans le Livre des Orateurs, est l’expression singulière d’un esprit plus énergique que puissant, qui se tend, se tourmente et s’obsède, pour ainsi dire, lui-même. Sans doute, tant de fatigues ne sont pas toujours stériles : dans le Livre des Orateurs, il y a des pages éclatantes, des traits heureux, d’habiles démonstrations ; enfin il y a ce fonds satirique que l’auteur n’a pu ni voulu trop atténuer, et qui lui a recruté bien des lecteurs. Toutefois, que M. de Cormenin en soit bien convaincu, ses meilleurs titres comme prosateur ne sont pas là : nous les trouvons dans les pages graves et pleines qu’il a publiées sur des choses qu’il sait profondément. Quand il compose le Discours sur la Centralisation, il se place plus haut comme écrivain que lorsqu’il affiche des prétentions à une littérature sémillante.

Dans ces dernières années, les fumées démocratiques de M. de Cormenin ont commencé à se dissiper, et nous l’avons vu peu à peu reprendre