Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est ni précise ni définitive. La muraille et l’eau sont traitées de la même manière, et le résultat est facile à prévoir. L’eau manque de limpidité, et la muraille manque de solidité. Naturellement, et par une conséquence inévitable, les figures qui s’enlèvent sur la muraille n’ont pas toute la valeur, tout le relief qu’elles auraient si la muraille était plus solide, si l’eau était plus limpide. Cette donnée est si familière au pinceau de M. Decamps, que nous comprenons difficilement comment il a pu tomber dans l’erreur que nous signalons, à moins pourtant qu’il ne faille expliquer sa méprise par le nombre même des compositions du même genre qu’il nous a déjà données. L’habitude aura produit chez lui la satiété, et il n’aura pas su rendre intéressant ce qui ne l’intéressait plus. L’École de jeunes Enfans (Asie-Mineure) est une donnée qui aurait séduit l’imagination de Rembrandt, et qui devait plaire à M. Decamps. Tout l’intérêt de cette donnée consiste dans l’emploi de la lumière. C’est un problème qu’un artiste habile doit aimer à se poser ; mais je crois pouvoir affirmer sans présomption que Rembrandt ne l’eût pas résolu de la même manière. Le parti choisi par M. Decamps a quelque chose de trop absolu. Pour donner plus de valeur au rayon qui pénètre par la fenêtre du fond, il a volontairement exagéré l’ombre qui enveloppe les figures, surtout celles du premier plan ; et il a poussé si loin cette exagération, que la forme des figures est presque abolie. Il n’y a guère que la figure du maître d’école qui soit éclairée suffisamment. Il est donc permis de dire qu’en cette occasion la puissance de M. Decamps n’a pas traduit nettement sa volonté. Il s’est proposé une difficulté digne de son pinceau, mais il ne l’a pas résolue d’une façon complète, et ses précédens ouvrages nous donnent le droit de le dire sans être accusé d’injustice.

Le Retour du berger, effet de pluie, est une composition bien ordonnée, dont toutes les parties sont utiles et concourent à l’effet général. Malheureusement, ici encore l’exécution n’est pas à la hauteur de la pensée. Les terrains, le ciel, le troupeau et le berger ont bien le ton qui leur convient ; mais le ton ne suffit pas. Il fallait donner à chacun de ces élémens une solidité diverse en harmonie avec la nature même du sujet que le pinceau voulait représenter. Or, les terrains manquent de fermeté, et nuisent par leur mollesse à la valeur du ciel, du troupeau et du berger. Le ciel vient trop en avant, la forme du troupeau est confuse. Le berger, dont l’attitude est vraie, dont les haillons sont disposés avec une science consommée, le berger laisse trop à désirer sous le rapport du dessin. La chair ne se distingue pas assez nettement des haillons. Pour dire toute notre pensée, cette composition, pleine de grandeur et de vérité quant à l’intention, est plutôt une esquisse, un projet, qu’une œuvre définitive. Il semble que M. Decamps, habitué à manier, à pétrir la lumière, se soit trouvé dépaysé devant la scène morne et