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Cicéron, Démosthènes, comme saint Paul et saint Basile… » Cela est vif et court, cela tient à la fois de la vérité et du paradoxe, et risquerait de devenir faux, si on y insistait trop. M. de Cormenin tombe précisément dans l’écueil, et, ne trouvant pas cette liste des pamphlétaires illustres assez longue, il y met Tacite, Archiloque, Horace, Perse, Juvénal, Boileau, Swift, Gilbert, Bossuet, Bourdaloue, Massillon, Fénelon, Racine et Socrate. Il y en a d’autres encore : ce sont Lucien, Théophraste, Abeilard, Molière, Voltaire, Beaumarchais et Labruyère. Avec plus de réflexion et de goût, M. de Cormenin eût compris qu’à force de vouloir étendre et glorifier le pamphlet, il en effaçait lui-même l’originalité. « Tout ce qui honore la vertu, s’écrie-t-il, tout ce qui flétrit le crime, tout ce qui punit les tyrans, tout ce qui chante la gloire, la patrie et la liberté, tout cela est pamphlet. » C’est bien enfler la voix pour n’arriver qu’à être faux, froid et commun. Paul-Louis Courier avait parlé du pamphlet comme d’une puissance nouvelle et bien autre que la tribune : De l’imprimé, rien ne se perd, avait-il dit, et il avait jeté en passant ce grand trait : De tout temps les pamphlets ont changé la face du monde. M. de Cormenin a voulu à son tour célébrer la puissance du pamphlet et nous le montrer circulant partout : « Le pamphlet court, il monte l’escalier du grand salon ; il grimpe sous les tuiles par l’échelle de la mansarde ; il entre, sans se heurter, sous la basse porte des chaumières et des huttes enfumées. Échoppes, ateliers, tapis verts, âtres, guéridons, escabeaux, il est partout. » Paul-Louis priait Dieu de le délivrer du langage figuré : — Jésus, mon sauveur, s’écriait-il, sauvez-nous de la métaphore ! S’il eût pu lire les écrits de M. de Cormenin, qu’eût-il pensé ? Devant le pamphlet montant l’escalier, qu’eût-il dit ?

Le Livre des Orateurs est une longue galerie de portraits que M. de Cormenin a souvent repris en sous-œuvre et changés de place. Dès l’origine, M. Guizot et M. Thiers ouvraient la collection ; ils la ferment aujourd’hui. Dans la dernière édition, nous ne retrouvons pas non plus M. de Lamartine au même endroit. Ces portraits et d’autres ont été non-seulement retouchés, mais rallongés. Ils datent de 1836. Depuis cette époque, les hommes politiques peints par M. de Cormenin ont considérablement accru leurs titres à la célébrité, et ils ont grossi leur propre histoire. M. de Cormenin a désiré enrichir son œuvre de tous ces développemens, et d’ailleurs il lui est arrivé de ne plus voir les choses et les physionomies contemporaines sous le même jour. Toutefois, sauf quelques traits qu’il a cru convenable et honnête d’effacer, il n’a voulu rien sacrifier d’essentiel de ce qu’il avait primitivement élaboré, et aux pages écrites il s’est mis à ajouter des pages nouvelles. Aussi du même personnage vous avez deux ou trois portraits, ce qui produit l’effet le plus discordant et trouble l’esprit plutôt qu’il ne l’éclaire. Si notre conclusion est sévère, elle est inévitable : c’est que M. de Cormenin a souvent enfreint