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peuvent faire comprendre. Nous ne pouvons que renvoyer au texte ou prier qu’on nous croie sur parole, mais il est plus facile de montrer par des exemples les moyens, les artifices dont le poète s’est servi. Quelques rapprochemens curieux sortiront pour nous de cette étude.

Ce qui frappe le plus quand on lit Babrius et qu’on le compare soit aux anciennes fables ésopiques recueillies par Coray ou par Schneider, soit à Phèdre et à Horace, c’est le goût du fabuliste grec. Nous l’avons déjà dit, dans l’apologue primitif toute l’attention se portait sur la conclusion, le reste n’était qu’une précaution oratoire. Par suite on s’inquiétait peu de la vraisemblance. L’idée d’une montagne accouchant d’une souris n’excitait pas le moindre scrupule. On parlait des noces du soleil et des amours du lion sans que personne songeât à y chercher malice. Quant à la reproduction fidèle des mœurs des animaux, il n’en fut jamais question ; on ne voulait pas faire de l’histoire naturelle. Tout ce qu’on demandait, c’est que le caractère connu de l’auteur répondît au rôle qu’on lui faisait jouer. Ainsi le renard est le symbole du savoir-faire, le loup celui de la force brutale ; la fidélité est représentée par le chien, la faiblesse par l’agneau, la timidité par le lièvre. Cela est si vrai, qu’Hésiode dit quelque part la prévoyante, et cette épithète suffit pour désigner la fourmi ; dans Babrius, le renard n’a d’autre nom que l’intrigant De là une foule de détails étranges, absurdes même, et que le bon sens des Grecs repoussa quand on revêtit la fable de la forme poétique. Si complaisante qu’elle soit, l’imagination du lecteur ne se prête pas facilement à admettre un loup qui joue de la flûte, un lièvre qui cherche un asile dans le nid de l’escarbot, un cerf qui prête à la brebis un boisseau de froment et lui donne le loup pour caution.

Pour élever la fable à la hauteur d’un genre, il fallait donc avant tout donner plus de vraisemblance au récit, plus de suite à l’action, en un mot, faire le principal de ce qui jusque-là n’avait été que l’accessoire. Babrius y pourvut, d’abord en choisissant ses sujets, puis en corrigeant au besoin la tradition reçue. Nous ne donnerons qu’un exemple de ces corrections. Il est curieux en ce qu’il tranche une question long-temps débattue entre les savans. Horace, dans une de ses satires, veut faire entendre à Mécène qu’il aime sa liberté par-dessus tout, et que, pour la conserver, il renoncera, s’il le faut, à tous les bienfaits dont l’a comblé son protecteur. Une fable ésopique vient à son aide. Il raconte l’histoire du renard qui pénètre dans un grenier, et à force de manger s’enfle au point de ne plus pouvoir repasser par l’ouverture. La belette voit son embarras et lui dit :

Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.

Un critique anglais, Bentley, avisa le premier l’absurdité d’un renard qui mange du grain. Prenant à témoin naturalistes et savans, il soutint qu’