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ils les ont attribués au désir de désarmer des inimitiés puissantes, et de se ménager pour l’avenir des suffrages, académiques. Pourquoi ne pas voir plutôt dans ces amendemens le mouvement loyal d’un honnête homme qui regrette et répare autant qu’il est en lui les erreurs où il était tombé ?

En dépit de ces réparations morales, en dépit de toutes les retouches de l’écrivain, le Livre des Orateurs n’a pu devenir un monument de critique littéraire. En vain à ses premières ébauches l’auteur a fait subir mille métamorphoses, tantôt ajoutant une introduction didactique, puis établissant des parallèles, d’abord entre les orateurs et les écrivains, plus tard entre les diverses espèces d’éloquence ; un autre jour donnant pour escorte aux orateurs de notre parlement Mirabeau, Danton, O’Connell et même l’empereur Napoléon. De toutes ces additions, de tous ces supplémens, il n’est pas sorti un livre, mais une série de petits morceaux sans cohésion, sans unité. Dans le désir qui l’anime de multiplier les pages, M. de Cormenin aborde étourdiment certains sujets qu’il aurait dû éviter dès qu’il y apercevait la trace de devanciers redoutables. N’a-t-il pas eu l’imprudence d’entreprendre l’éloge du pamphlet après Paul-Louis Courier ? Comparons.

Dans le dernier de ses écrits, dans le plus achevé de tous, Paul-Louis raconte qu’à la sortie de l’audience où il avait été condamné comme pamphlétaire, il rencontra sur le grand degré du palais un honnête libraire, M. Arthus Bertrand, qui avait été un de ses jurés, et qui s’en allait dîner après l’avoir déclaré coupable. La conversation s’engagea bientôt entre Paul-Louis et son juge, qui était bon homme au fond, et lui assura ne l’avoir condamné que parce que lui, Courier, avait publié un écrit d’une feuille et demie, lequel écrit était un pamphlet. Cependant, quelques jours après, Courier recevait une lettre d’un de ses bons amis, sir John Bickerstaff, qui l’engageait à persévérer et à multiplier ses pamphlets. Après avoir transcrit une notable partie de la lettre de son ami sir John, Paul-Louis remarque combien les conseils qu’il lui donne diffèrent de l’avis de M. Arthus Bertrand sur les pamphlets : « celui-ci ne voit rien de si abominable, l’autre rien de si beau. Quelle différence ! Et remarquez : le Français léger ne fait cas que des lourds volumes ; le gros Anglais veut mettre tout en feuilles volantes. » Mais qui n’a pas présent à l’esprit le petit chef-d’œuvre de Courier qu’il a intitulé Pamphlet des Pamphlets, et dans lequel, grace tant à l’interlocuteur qu’au correspondant qu’il se donne, il peut, en quinze à vingt pages, passer d’un comique digne de Molière à la plus mâle éloquence ? Voilà le maître. M. de Cormenin a voulu renchérir sur Courier, et il a imaginé d’enrôler parmi les pamphlétaires presque tous les grands écrivains. Paul-Louis nous avait appris que son ami sir John lui avait écrit au courant de la plume. « Faites des pamphlets comme Pascal, Franklin,