Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petit bruit dans sa carapace sur des braises recouvertes de cendres. J’ajouterai qu’en ma qualité de pensionnaire du capitaine don Ramon, et grace au piment, au citron et aux clous de girofle dont le mets en question était abondamment épicé, je trouvai ce dîner délicieux. Une bouteille de mescal de Téquila de la plus forte espèce, dont j’avais eu soin de me munir, et que José Juan paraissait trouver de son goût, ne tarda pas à faire régner entre nous cette cordialité qui donne un charme de plus à la bonne chère. La bouteille était à moitié vidée par mon hôte ; il était nuit close ; une lampe fumeuse alimentée d’huile de tortue répandait une lumière inégale. La jeune femme de José Juan écoutait notre conversation, assise comme nous par terre, mais dans la pose naïve des femmes indiennes. Par la porte ouverte, on voyait la mer rouler sur la grève ses vagues lumineuses ; le ciel montrait ses étoiles ; l’heure et le lieu, tout était propice aux histoires émouvantes de chasse ou de pêche. J’entrai résolument en matière.

— J’avoue, seigneur don José Juan, que s’il est un homme qui ait piqué ma curiosité, c’est vous, et à un point que je ne saurais dire. José Juan me regarda d’un air étonné.

— Les deux circonstances singulières au milieu desquelles j’ai eu le plaisir de vous voir pour la première fois, ce qu’on m’a dit de vous, rendent cette curiosité bien légitime, et j’espère qu’elle n’a rien d’offensant.

— Vous parlez de cette tintorera qui a manqué de me couper en deux ? reprit le métis d’un air de dédain. C’est un fait qui n’a rien d’extraordinaire, un fait assez fréquent, malheureux ; mais c’est tout.

— D’accord ; mais que vous avait fait ce pauvre diable que vous avez poursuivi et traîné à la remorque ?

— A moi, rien personnellement ; aussi je n’y mettais pas d’animosité, dit José Juan en riant. Seulement, en ma qualité de capataz, je devais lui faire rendre une perle de grand prix qu’il avait avalée, et qu’il voulait aller digérer à son aise chez ses amis d’Espiritu-Santo.

— Ce n’était pas chose facile de la faire rendre !

— Bah ! répliqua mon hôte, il avait déjà les bras liés, comme vous avez pu le voir, et malgré ses cris une bonne dose d’huile de caret la lui a fait restituer à l’instant. C’est encore un fait assez fréquent et peu curieux.

— Pardonnez-moi, je trouve le fait très plaisant ; c’est un trait de mœurs qui n’est pas ordinaire.

Avant d’en venir à la question que je mourais d’envie de lui faire, je présentai de nouveau à José Juan la bouteille de mescal. Involontairement il me semblait que cette histoire dont m’avait parlé le Mexicain d’un ami pour lequel mon hôte avait exposé ses jours dans un combat avec un animal aussi redoutable qu’une tintorera devait réveiller quelques