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gravité de la circonstance, ce nom me frappa vivement. Le Mexicain avait à peine achevé cette brève réponse, qu’on vit le plongeur sortir de l’eau comme un trait et s’élancer dans son bateau à l’aide de la corde qui y était attachée. Presque au même moment cette corde était tranchée par les dents du requin comme un fil d’araignée ; une seconde de plus, l’homme eût été tranché de même. Des cris d’allégresse, des vivat, des applaudissemens, éclatèrent de toutes parts à l’apparition du plongeur. Celui-ci les reçut comme un hommage mérité, mais toujours flatteur, à en juger par le gonflement de ses narines et l’air d’orgueilleux dédain avec lequel ses yeux suivaient la retraite de son ennemi.

Ce n’est pas à la peur que José avait cédé en fuyant. Une femme jeune et belle se tenait immobile et presque défaillante sur le rivage. Un ardent regard que lui jeta José Juan m’expliqua suffisamment que c’était à elle qu’il avait fait ce sacrifice. Le Mexicain soupira et me dit d’un air de regret :

— Il y a un an, nous aurions vu un beau combat entre lui et le requin. A pareille époque, il a tué une tintorera pour sauver un ami ; mais alors il n’était pas encore marié. Depuis, le mariage l’a amolli. Voulez-vous que je vous raconte cette histoire ? elle est fort curieuse.

— Non, merci, j’aime mieux la lui entendre raconter à lui-même, car je compte lui demander l’hospitalité pour cette nuit.

Mon indécision avait cessé. La hutte qui abritait un pareil hôte devait être à mes yeux la plus belle de toutes. Je demandai donc à José Juan de vouloir bien me recevoir pour une nuit sous son toit. La cabane du hardi plongeur était située à une assez grande distance des autres, et presque à l’extrémité de l’île de Cerralbo. Elle était adossée à un rocher dans les fentes duquel poussaient des cactus et des aloès, et dont le sommet servait d’abri aux oiseaux de mer pendant les dix mois où l’île est solitaire. Du seuil de la hutte, on dominait la grève et la mer ; on pouvait apercevoir les bords escarpés d’Espiritu-Santo, et même entendre le sourd ressac des flots qui venaient s’y briser. Ce fut vers cet endroit sauvage que mon nouvel hôte me conduisit avec toute l’urbanité et la courtoisie de ses compatriotes, et sans que rien dans son maintien indiquât l’effroyable danger auquel il venait d’échapper.

José Juan était un métis, fils d’un Indien et d’une blanche ; il avait hérité de la couleur cuivrée de son père, et le type indien de sa figure n’offrait rien de remarquable. Sa taille était moyenne, ses mains presque délicates ; mais ses larges épaules, ses reins étroits et sa maigreur nerveuse indiquaient une grande force physique, sur laquelle se fondait peut-être son énergie morale.

Je trouvai, en arrivant à la hutte, la jeune femme dont il a été question occupée à préparer notre dîner, dîner de pêcheur indien s’il en fut. C’était une tortue dont on avait arraché le plastron, et qui cuisait à