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l’une de l’autre. Il n’est pas de science sociale sans une connaissance réelle et profonde de l’être humain, de ses tendances nécessaires, des voies qui lui sont ouvertes et de celles qui lui sont fermées. C’est contre ces données fondamentales si souvent méconnues qu’est venu échouer ce qu’il y avait d’impraticable dans chaque système politique, à quelque mobile qu’il se soit adressé. Voilà donc le vaste domaine qu’embrasse la physiologie ! Certes, quand, mus par une curiosité instinctive, quelques hommes s’avisèrent de jeter le regard sur l’organisation des animaux et spéculèrent sur les résultats de leurs observations, il était peu facile de prévoir que d’aussi grands intérêts étaient engagés dans des recherches en apparence frivoles et stériles. C’est une importante leçon donnée par l’histoire ; elle nous apprend que le vrai doit toujours être poursuivi pour lui-même, et que nul ne peut prévoir les services qui seront rendus. Ceci soit dit pour ceux que les applications préoccupent surtout, car, en réalité, une disposition native que nous révèle une étude bien faite de la physiologie cérébrale entraîne les hommes vers la recherche du vrai en soi, sans aucun souci de l’utile, et est la source d’où ont découlé toutes les sciences.

L’enchaînement des lois biologiques, les arts même qui en dérivent, la possibilité de modifier à coup sûr les organismes, tout cela définitivement a ruiné la doctrine des causes finales, qui, chassée des autres sciences, prit si long-temps refuge dans la structure des corps vivans. Ne parlons donc pas des explications parfois ridicules où elle conduisit de bons esprits, par exemple celle-ci : un physiologiste renommé du XVIIe siècle loue la Providence de ce que l’opération de la pierre peut être pratiquée sans que le patient soit rendu impuissant ; si la Providence est louable en ceci, elle le serait bien davantage d’avoir disposé les choses de manière à prévenir une opération aussi douloureuse que la taille. Encore une fois, laissons dormir ce passé. C’est une des grandes œuvres de la science positive d’avoir chassé de partout ces intentions prétendues et substitué le fait à l’hypothèse.

Une fois, que cette notion fondamentale est acquise et que toutes les forces qui meuvent notre monde ont été aperçues, le point de vue change ; l’ancien effroi et l’ancienne admiration se dissipent, et l’on juge le spectacle qui nous entoure. Alors il est possible à la critique de passer des travaux et des conceptions humaines à la constitution même du monde. Sans doute, à un certain point de vue, il importe peu que les choses soient disposées d’une façon ou d’une autre, et quand la terre tremble, engloutit les villes, lance des laves brûlantes et déplace la mer, il n’y a là, en définitive, que le jeu du calorique, de l’élasticité des gaz et de la pesanteur ; mais c’est justement parce que les choses sont ainsi disposées que la critique peut s’appliquer à leur arrangement. Ce qui est arrivé sur le chemin de fer de Versailles ou celui de Saint-Étienne se reproduit