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Donc, pour reprendre notre sujet, descendons l’échelle que tout à l’heure nous avons montée ; allons de l’homme civilisé au sauvage, du sauvage à l’animal, de l’animal à la plante, et d’un seul coup d’œil nous embrasserons un ensemble immense gouverné par une force unique, la vie. Le végétal a déjà quelque rudiment de sensibilité ; la sensibilité devient manifeste dans les animaux inférieurs, elle croît et grandit jusqu’aux instincts, aux passions et à l’intelligence, bornée sans doute, mais réelle, chez les animaux supérieurs ; enfin elle atteint le dernier terme que nous en connaissions, la raison dans le genre humain. Certes, il y a bien loin entre les termes extrêmes, et c’est un puissant effort de l’esprit d’induction que d’avoir pu, à l’aide des transitions, rattacher les uns aux autres les anneaux d’une aussi longue chaîne.

L’agent des facultés de sensibilité est le système nerveux, qui occupe le troisième livre de M. Müller. Cet agent imprime un caractère tout particulier à la vie de l’animal. Dans le végétal, rien n’est centralisé ; aussi les organes peuvent se transformer sans peine : à volonté, des feuilles deviennent des fleurs, et des fleurs deviennent des feuilles. On retourne une plante de manière que ses branches soient dans la terre et ses racines en l’air ; bientôt l’échange des fonctions s’exécute, et les rameaux et les racines s’accommodent respectivement au milieu où ils sont plongés. Un scion séparé du tronc ne meurt pas nécessairement, et, mis en terre, il donne naissance à un nouvel individu. Rien de pareil dans l’animal ; là les organes, bien plus particularisés, résistent à toute transformation. Ce qui est séparé du corps meurt aussitôt ; le corps lui-même ne possède que dans une limite très restreinte un pouvoir de restauration et de cicatrice. Cette infériorité de l’animal, qui le rend bien plus sujet aux maladies et qui le soumet à un plus grand nombre de causes de mort, tient à la complication de son organisme en général et en particulier à la présence d’un centre nerveux. Ce n’est pas qu’ici aussi les gradations ne se manifestent, et les animaux inférieurs sont autant d’intermédiaires où l’on voit des phénomènes très analogues à ceux que la plante présente. A mesure que l’être s’élève dans l’échelle de l’organisation, le système nerveux se centralise davantage, et alors s’allongent de toutes parts ces cordons qui ont pour office de mettre le centre en communication avec la circonférence. La sensation et la volonté ont chacune un agent spécial, et des nerfs qui jamais ne se confondent transmettent, les uns, du dehors au dedans, les impressions qui se font sur les sens, les autres, du dedans au dehors, les ordres aux muscles qui obéissent. Bien plus, chaque fibre nerveuse primitive est affectée à un service déterminé, et le trajet entre l’encéphale et un point du corps, quelle qu’en soit l’étendue, est desservi par une seule fibrille, que ne peuvent remplacer les fibrilles parallèles et voisines.

Avec de nouvelles propriétés apparaissent des tissus nouveaux, car ces