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celui qui sait faire les expériences n’est pas apte à les interpréter dans leur véritable esprit, et celui qui saurait les interpréter véritablement n’est pas apte à les conduire. Il n’est pas rare de voir un biologiste et un chimiste se réunir pour traiter ensemble un point qui, au fait, n’est que de la compétence du premier. Nous ne sommes certainement pas loin du temps où les études seront assez systématiquement établies pour que le biologiste n’ait plus besoin d’un pareil concours ; un enseignement régulier fera de la chimie la base de la physiologie, comme il fait des mathématiques la base de la physique.

Quelles que soient les apparences diverses des parties végétales et animales, bois, fleurs, fruits, os, tendons, ligamens, muscles, il n’en est pas moins certain, la chimie l’a démontré, que tout cela est formé de substances inorganiques, surtout d’oxygène, d’hydrogène, de carbone et d’azote, et que la différence tient essentiellement aux proportions des élémens. Toutefois une distinction est à établir : les animaux ne se comportent pas comme les végétaux. L’air atmosphérique et l’eau, avec quelques sels, sont les seules substances brutes que les premiers puissent absorber sans préparation aucune ; au contraire, les seconds puisent directement et sans intermédiaire leur aliment dans le réservoir commun de toutes choses, et, placés moins haut dans l’échelle de la vie, ils peuvent se contenter de matériaux moins élaborés. Pour les animaux, la terre et les particules diverses qu’elle renferme seraient vainement douées des facultés nutritives que réellement elles possèdent à l’égard au moins d’une autre classe d’êtres vivans ; il leur faut, soit des produits végétaux, soit même la chair d’autres animaux, et, à côté de toutes ces ressources alimentaires qui si facilement se transforment en racines, en fruits et en feuilles, ils succomberaient à la faim et à l’épuisement, incapables qu’ils sont, par leur organisation même, d’attirer dans le tourbillon de la nutrition les matières inorganiques. Aussi les recherches géologiques ont montré que les premiers êtres vivans qui aient apparu sur la terre sont des végétaux, forme plus simple de la vie, apte à s’emparer directement des matériaux du sol, et premier degré d’une élaboration ultérieure.

Sans vouloir entrer aucunement dans la recherche de l’essence des choses, recherche inaccessible, exercice désormais stérile, et dont tout esprit scientifiquement cultivé doit se défendre, on peut considérer les résultats amenés dans le monde par la constitution des êtres vivans et par les conditions de la biologie. La nécessité où sont tant d’animaux de se nourrir de proie vivante donne une physionomie toute particulière au globe que nous habitons. Dès-lors une portion de ses habitans, livrée uniquement, hormis le besoin de la reproduction, au soin de sa nourriture, passe sa vie à poursuivre ou à guetter, suivant le mot de La Fontaine, la douce et l’innocente proie, et, comme dans l’organisation