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meurtriers. L’acide hydrocyanique foudroie, pour ainsi dire, l’animal. Le suc du pavot plonge dans un engourdissement funeste, et conduit à la mort par une espèce de sommeil. On trempe les flèches dans un poison subtil, et la plus légère blessure de cette arme arrête dans sa course rapide la proie que poursuit le chasseur, sans qu’un agent aussi promptement destructeur rende dangereuse la chair du gibier ainsi tué. Les innombrables végétaux disséminés sur le globe sont autant de laboratoires chimiques où se fabriquent les sucs les plus divers, et, comme cela ne peut guère manquer dans le mélange des élémens à tant de proportions, cette élaboration produit tantôt des substances salutaires, tantôt des poisons formidables. Le mal, comme le bien, est partout l’effet nécessaire des conditions de notre monde, et une sage appréciation du milieu où nous sommes plongés montre qu’il n’y a jamais lieu soit à maudire, soit à bénir la nature, où tout est déterminé par le concours d’invariables propriétés.

Si le jeu des combinaisons végétales donne ainsi des produits de la nature la plus opposée, on concevra sans peine qu’il en soit de même des combinaisons animales. Là aussi des venins subtils résultent de l’élaboration des élémens. Ce sont surtout les insectes et les reptiles qui sont pourvus de ces substances dangereuses, quelques-unes tellement actives que, peu de minutes après l’introduction, le blessé succombe ; mais ces venins, qu’on pourrait appeler réguliers, ne sont qu’une petite partie des venins animaux : il s’en développe accidentellement d’une nature très redoutable, d’autant plus funestes qu’ils se créent au milieu des sociétés, et que l’occasion de nuire leur est plus souvent offerte. Ainsi le chien devient spontanément enragé, et quelques gouttes de sa salive communiquent la maladie. Une fois introduit, le venin demeure caché pendant de longs jours, il semble que rien n’ait été dérangé dans l’économie, et cependant une atteinte mortelle a été portée : au milieu d’une sécurité profonde, la mine chargée éclate, et il faut avoir assisté à des spectacles pareils pour concevoir combien est déchirante une agonie où le patient, à la vue de l’eau, au bruit d’un liquide, au reflet d’un corps brillant et poli, est saisi de spasmes, et passe incessamment de l’angoisse à la convulsion et de la convulsion à l’angoisse, ne redoutant qu’une chose, c’est que l’accès qui vient ne soit pas le dernier. Ailleurs, un cheval devient morveux : prenez garde, ce n’est point une maladie qui reste close et renfermée tout entière dans l’animal atteint ; après être allée du cheval à celui qui le touche, elle ira du malheureux qui est venu mourir à l’hôpital au jeune médecin qui l’a soigné, et fera une victime de plus. Ici un bœuf est attaqué du charbon : prenez garde encore ; cette tache charbonneuse n’est pas, comme elle le semble, une substance inerte ; elle vit, se meut, a des propriétés secrètes qui la propagent, et sans peine elle marche de proche en