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compte de la décadence spontanée qui a frappé les religions, et de l’anarchie mentale qui présentement les remplace.

Ce mode de philosopher choque, je le sais, l’enseignement courant et les habitudes actuelles de l’esprit. Néanmoins je prie le lecteur, quelque impression qu’il doive en recevoir, d’en apprécier nettement le caractère. Peut-être ne saisit-on pas tout d’abord en quoi il importe d’être parvenu à déterminer les propriétés dernières des choses, et comment la philosophie en est renouvelée. Par là sont remplis deux offices nécessairement corrélatifs, à savoir l’établissement de la méthode positive et la déchéance de la méthode hypothétique. D’une part, le monde se montre tel qu’il est, ou du moins tel qu’il nous est donné de le voir, se suffisant à lui-même et entretenu par les propriétés qu’il possède ; d’autre part, tombent les hypothèses métaphysiques, soit théologiques et spiritualistes, soit anti-théologiques et matérialistes. L’explication qui attribue les phénomènes à des entités spirituelles est aussi illusoire que celle qui les attribue à l’arrangement des atomes ; dans les deux cas, on se paie de mots et on accepte ce qui ne peut se démontrer. La méthode positive, au contraire, est partout démontrable, aussi bien à son origine, à son point de départ, que dans ses conséquences. Ceux-là sentiront la valeur d’un pareil titre, qui savent quelles nécessités mentales ont ruiné les conceptions antiques.


III - DE LA NUTRITION.

La nutrition est la fonction par laquelle le corps s’entretient. M. Müller étudie dans le premier livre les liquides qui la rendent possible, dans le second les actes divers qui la constituent. Un des élémens essentiels de l’existence d’un être animé est un certain mélange de solides et de liquides. Sève ou sang, l’emploi est le même : à savoir, servir à l’accroissement et à la nutrition. C’est surtout dans les animaux que le phénomène est remarquable ; là, entre les deux ordres de substances, l’échange est continuel, et, par un mouvement qui ne s’interrompt qu’à la mort, les fluides se solidifient, les solides se fluidifient. Le sang, sorte de fleuve remontant incessamment à sa source, reçoit tout et donne tout ; il est l’intermédiaire où aboutit et ce qui va être employé et ce qui a été employé. Si d’une part il porte par mille canaux la nourriture à tous les organes, se transformant par une chimie spéciale en tissus et en humeurs, d’une autre part, à mesure que les particules organiques sont décomposées, elles rentrent dans le grand courant sanguin, qui les emporte. Ainsi se fait et se défait cette toile de Pénélope, trame toujours sur le métier et ne subsistant qu’à la condition d’avoir ses fils incessamment renouvelés. Sans doute, dans ce conflit entre les liquides et les solides, s’établit un certain état qui constitue