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hâte, aucun mal n’en résultera ; mais point ! la nature, cette prétendue gardienne, n’éveille pas de mouvement anti-péristaltique, ne suspend pas l’absorption, laisse pénétrer le poison jusqu’au système nerveux, et, le narcotisme une fois accompli, suscite d’inutiles convulsions. Une anse intestinale s’enroule, et le trajet alimentaire est intercepté, accident qui pourrait n’être pas grave, si la nature procédait avec adresse et précaution ; mais ce qu’elle fait empire la situation du patient en proie aux plus affreuses douleurs : elle engorge les vaisseaux, épaissit les tuniques, produit des exsudations agglutinatives, et le tout ne tarde pas à former un nœud inextricable. En présence de ces faits tellement palpables, il a fallu une singulière préoccupation d’esprit pour laisser dans l’ombre tout un côté de la question, et ne pas voir, avec la nature bienfaisante, la nature malfaisante, c’est-à-dire uniquement des propriétés en action.

Cette réalité des choses a été bien caractérisée par la philosophie moderne de l’Allemagne. Écartant le panthéisme d’où elle part, et qui, à titre de conception métaphysique, ne peut être accepté par la science positive, on reconnaît qu’elle a nettement saisi les conditions qui régissent la nature. Elle donne le nom de mécanisme à la doctrine qui admet que les choses sont mues par des forces extrinsèques, et celui d’organisme à la doctrine qui admet qu’elles le sont par des forces intrinsèques, en d’autres termes par des propriétés inhérentes. Si l’on veut avoir une idée précise de cette distinction, qu’on se représente l’astronomie ancienne attribuant les mouvemens célestes à des sphères solides qui entraînaient les corps, et l’astronomie moderne plaçant la cause des mouvemens dans une propriété essentielle, la gravitation. C’est là la différence capitale entre le mécanisme et l’organisme.

L’étude de cet organisme est tout le savoir humain. La gravitation au pesanteur, le calorique, l’électricité, le magnétisme, la lumière, l’affinité chimique, la vie, telles sont les propriétés qui, inhérentes à la matière, en déterminent les formes, les mouvemens et les actions. Faites précéder cette énumération de l’étendue géométrique et du nombre, faites-la suivre de la loi qui règle l’évolution des sociétés, et vous aurez, débarrassée de toute hypothèse, la science générale ou philosophie. Si vous tentez d’aller au-delà, comme on l’a tenté constamment dans l’ère des théologies et des métaphysiques, vous avez des systèmes incompatibles avec les sciences particulières, dont le progrès les a renversés ; si vous restez en-deçà, vous avez ce qui est aujourd’hui, pêle-mêle les ruines des anciennes choses et les rudimens des nouvelles. M. Auguste Comte, dans son grand travail de réorganisation philosophique, a tout à la fois éliminé les notions hypothétiques et inaccessibles, embrassé et coordonné l’ensemble des notions positives. Je recommande son ouvrage à la méditation sérieuse des hommes voulant se rendre