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des immenses difficultés qu’offrit à l’esprit humain l’infinie complication des choses vivantes.

La Grèce a été le berceau de la physiologie. Les sciences se sont développées en raison de leur simplicité ; la plus facile de toutes, les mathématiques, a eu des rudimens en Égypte, en Phénicie, en Chaldée, avant que les Grecs, s’en emparant, y eussent fait tant et de si rapides progrès ; de même, des essais astronomiques précédèrent les découvertes de l’école grecque : rien de pareil ne se voit pour la physiologie ; elle naquit de la médecine (les sciences sont nées des arts) à peu près vers l’époque où florissait Hippocrate. Toutefois le premier travail physiologique qui nous soit parvenu appartient à Aristote, et ce premier travail est un chef-d’œuvre. Description d’un nombre immense d’animaux, comparaison des parties entre elles, vues profondes sur les propriétés essentielles à la matière vivante, tout cela se trouve dans les admirables ouvrages du précepteur d’Alexandre. Cependant les notions étaient encore si imparfaites, qu’Aristote ne connaît pas les nerfs ; or, imaginez quelle lacune doit faire, dans l’intelligence du mécanisme animal, l’ignorance d’un rouage si essentiel. Mais les travaux succèdent aux travaux, les observations aux observations, et l’école d’Alexandrie détermine anatomiquement et physiologiquement les principales propriétés du système nerveux. Environ quatre cents ans plus tard, Galien agrandit, systématise, résume la science, dont l’ère antique allait se clore. En effet, le monde occidental entrait dans une période de révolutions sans exemple. Pendant qu’une nouvelle religion s’établissait, et, créant une puissance spirituelle à côté de la temporelle, changeait les conditions de la société romaine, les barbares du Nord rompaient les digues et apportaient à tant de désordres un nouvel élément de perturbation. Dès-lors tout fut à refaire, sociétés, empires, religion, langues même. Au sein de cette pénible élaboration, il n’y avait pas place pour l’agrandissement des sciences. Ce qu’on pouvait désirer, c’est qu’elles s’entretinssent comme un feu caché sous la cendre ; et, de fait, elles s’entretinrent, la tradition ne fut pas rompue. Dans cet interrègne, les Arabes saisirent un moment le sceptre scientifique, et ce fut Galien qui reparut à la lumière dans le livre des musulmans. L’Occident, qui sortait de son chaos par ses propres efforts, stimulé de plus par l’influence des Arabes, prit part à l’œuvre, et ici encore Galien devint le docteur irréfragable. Ainsi la science moderne conservait pour base la science antique.

Ce fut en effet de là qu’à la renaissance les travaux partirent. Ils furent complètement dans la direction ancienne, c’est-à-dire qu’on s’efforça de plus en plus de découvrir le mécanisme anatomique du corps vivant. Cette direction, suivie avec ardeur, continua de donner de beaux et grands résultats. Ainsi fut dévoilée la circulation du sang, qui, à chaque tour, prend de l’oxygène dans les vaisseaux capillaires du poumon,