aussi que d’excellentes qualités que ne saurait donner l’art le plus consommé !
Quelle clarté, quelle précision, quelle netteté ! Dans tout ce qui sort de sa bouche se retrouve au souverain degré l’empreinte de son caractère résolu, intrépide, réfléchi. On sent que ses paroles ont été soigneusement pesées, mûries par la méditation. Jamais il ne se laisse emporter à l’ardeur de la lutte et aux entraînemens de la passion ; toujours calme, maître de lui-même, il ne dit que ce qui lui plaît, et garde une réserve d’argumens qui donnera au moment décisif du combat. Ne reconnaissez-vous pas à ce portrait un debater et un tacticien de premier ordre ? C’est là aussi le mérite incontesté de lord John Russell ; nul ne connaît comme lui l’histoire du passé et les choses du présent, les précéderas qui ont force de loi dans la constitution, la chronique des partis, les opinions de ses adversaires, leur humeur, et il s’en sert dans l’occasion avec une présence d’esprit accablante. Jamais on ne vit une mémoire plus riche et plus fidèle. Pourtant dans ses attaques les plus vives percent la bonté et l’honnêteté de son cœur : jamais de ces invectives, de ces sarcasmes qui font de mortelles blessures, et, plutôt que de causer un moment de souffrance, il se priverait de l’argument le plus péremptoire. Une ironie fine, délicate, ingénieuse, courtoise, voilà tout ce que lord John Russell se permet, et par un aussi noble procédé il force ses adversaires à se renfermer à son égard dans ces allures de bonne compagnie.
Tel est l’homme qui sera appelé à succéder à sir Robert Peel, et, si je me suis bien fait comprendre, vous ne doutez pas que cet événement ne soit aussi inévitable que prochain. Tout le monde en est ici convaincu, et on s’y prépare. S’il pouvait en être autrement, quel serait le sens de la visite que lord Palmerston va vous faire ? Je n’ai assurément pas la prétention d’être dans le secret des dieux, mais une telle démarche dans ce moment en dit plus à l’appui de mes conclusions que toutes les raisons que je vous ai données. A quoi servirait à lord Palmerston son voyage à Paris, s’il ne lui permettait à son retour de répondre aux négocians de la Cité qu’il a été comblé aux Tuileries de toutes les prévenances imaginables, et que, grace à une aimable médiatrice, la meilleure intelligence règne entre M. Guizot et le futur ministre des affaires étrangères du cabinet de lord John Russell ? De telles assurances ne peuvent manquer de calmer les inquiétudes les plus rebelles, vous l’imaginez sans peine. Cependant ne croyez-vous pas aussi, monsieur, que, ce but atteint, lord Palmerston, qui est un homme d’esprit dans toute l’acception que vous donnez à ce mot, pourrait bien souvent se dire en souriant : Ah ! le bon billet qu’a La Châtre ?