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dit-on, au sujet de sa conduite passée, des explications que vous devinez et que je ne répéterai pas. Il est de très mauvais goût de dire à un peuple que son honneur, sa dignité, peuvent être séparés des intérêts, des convenances de son gouvernement, et de pareilles raisons ne sauraient vous satisfaire. D’un autre côté, il est dur à un homme d’état de la valeur de lord Palmerston de passer pour un brouillon querelleur, qui n’aspire qu’à mettre le monde à feu et à sang. Aussi, toucher à sa politique, à ses intentions, en contester la bonne foi, l’à-propos, la justesse, la sagesse, l’utilité, c’est l’offenser personnellement, et cela est facile à concevoir.

Vous comprenez donc aisément que lord Palmerston ne se résignera jamais à un arrangement qui l’exclurait du ministère des affaires étrangères, et sans parler des liens étroits d’amitié, de confiance qui l’unissent à lord John Russell et à la plupart de ses anciens collègues, lord Palmerston est un personnage trop considérable pour n’être pas compté. Un parti sage, habile, comme le sont les whigs, n’offense pas de gaieté de cœur, par une exclusion injurieuse pour son caractère, un homme fier, redoutable par son éloquence, adroit, expérimenté dans la tactique parlementaire comme dans le gouvernement, et lord Palmerston réunit ces rares mérites.

En France, vous ne rendez pas justice à lord Palmerston. Vous avez peut-être de bonnes raisons pour cela. Il a été la cause d’une profonde humiliation pour votre pays ; il vous a prouvé, chose que vous y refusiez à croire, qu’il ne vous était pas permis de tenir en Europe la place qui vous appartient, que l’on pouvait vous outrager, et qu’il n’y avait à cela ni courage, ni témérité, car on était assuré de l’impunité. Vous auriez tort néanmoins de lui en vouloir. Ce n’est pas à lui qu’il faut vous en prendre. Tiendriez-vous pour un malhonnête homme le tuteur qui, pour étendre ce qu’il croit être le droit de son pupille, vous ferait un procès, et en serait-il plus coupable s’il avait d’avance la certitude que vous n’oserez le soutenir ? Appelleriez-vous querelleur l’homme qui n’aurait qu’à élever la voix pour vous faire reculer ? Derrière lui, en son absence, vous lui donnez les épithètes les plus insultantes, vous le traitez comme le dernier des hommes ; mais vous avez un si vif sentiment de ce qu’il peut oser à votre honte, qu’au moment où vous croyez que vous allez vous retrouver en la présence de cet homme, la crainte qu’il ne conserve quelque souvenir de ses outrages, vous lui faites des avances ! Vous m’entendez, monsieur. On a beau répéter chez vous que lord Palmerston est un boute-feu : on sait parfaitement, et aussi bien que nous, que cela n’est pas vrai. Quand on n’a pas de cœur, il est plus aisé de calomnier son ennemi que de s’en faire respecter. Ces injures ne font pas de tort à lord Palmerston dans notre esprit. Nous en sommes d’autant plus fiers. Nous pensons tous comme cet Américain qui, se présentant aux suffrages de ses concitoyens,