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Peel, après le premier moment de détresse morale où il s’est trouvé, a repris courage, et ne désespère pas de se relever.

Toutefois, comme l’opportunité d’une pareille coalition peut encore se présenter, j’en examinerai brièvement la probabilité et les chances de succès. Le principal obstacle semble être une question de personnes, et par là une combinaison de cette nature offre des difficultés que le seul rapprochement des opinions est impuissant à surmonter. Il n’y a, il est vrai, entre les amis de sir Robert Peel et ceux de lord John Russell aucun dissentiment réel, ni sur la politique intérieure, ni sur la politique étrangère. L’intérêt suffirait-il pour aplanir ces difficultés ? voilà le problème. Je ne parle pas de la répugnance que pourraient avoir les whigs à s’allier avec d’anciens amis défectionnaires, tels que sir James Graham et lord Ripon. Vous savez parfaitement en France combien s’effacent vite les répugnances, les antipathies politiques. L’embarras réel se trouve dans la distribution des portefeuilles. Qui aurait, par exemple, le département des affaires étrangères ? Qui serait préféré, de lord Aberdeen ou de lord Palmerston ? Lord Aberdeen réunirait probablement beaucoup de suffrages. Il a conquis l’estime générale et la considération même des whigs par son caractère droit, élevé, par sa prudence, sa fermeté tempérée de manières douces, conciliantes, par la sagesse avec laquelle il a conduit les affaires de son département : il est en outre partisan sincère et éclairé de la liberté du commerce et du rappel complet et immédiat des corn-laws ; mais alors quelle serait la situation de lord Palmerston ?

Je veux admettre que, sous l’empire de circonstances pressantes et par un louable esprit de conciliation, lord Palmerston fût porté à faire de grands sacrifices aux intérêts de son parti ; néanmoins je ne puis croire qu’il consentît, si ses amis revenaient au pouvoir, à ne pas rentrer dans le département des affaires étrangères. Lord Palmerston n’ignore pas l’effroi que cause son caractère vif, entreprenant, audacieux, les craintes dont lord Grey a été si récemment l’organe. Il est forcé de reconnaître que la majorité du pays, passionnément attachée au maintien du statu quo en Europe et en Orient, est disposée à regarder son retour dans cette partie délicate de l’administration comme dangereux pour la conservation de la paix, qu’elle s’imagine surtout que la France lui garde une vive rancune de ses procédés fort peu courtois, et que sa politique peut gravement compromettre ce que l’on veut bien appeler l’entente cordiale. Ces craintes, ces répugnances, cet effroi, blessent et irritent profondément lord Palmerston. Il se croit mal jugé, calomnié, et par cette raison même il désire avec une ardeur inexprimable de reprendre la direction des affaires étrangères, afin de montrer qu’on se méprend sur ses intentions, et qu’il n’a rien de plus à cœur que la durée et l’affermissement de la politique de paix. Il donne même,