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avoir pour eux l’appui du plus grand nombre des conservateurs, n’aient, pas tenté de prendre le gouvernement. Ce parti eût pu réussir à la fin d’octobre, lorsque sir Robert Peel manifesta pour la première fois son intention de modifier la législation des céréales. Depuis, leurs forces s’étaient considérablement amoindries, et sir Robert Peel avait eu le temps de leur enlever peu à peu plusieurs des membres sur lesquels ils comptaient le plus, comme par exemple le duc de Wellington.

C’est que le duc de Wellington, monsieur, n’est plus que l’ombre de lui-même. Son corps a conservé quelque vigueur, mais son esprit, plus droit que vif et souple, s’est engourdi. De ses admirables qualités, il n’a gardé que l’opiniâtreté, qui s’est transformée en un entêtement aveugle. Le duc de Wellington n’est plus guère aujourd’hui qu’un mannequin fort imposant dont sir Robert Peel, avec son adresse ordinaire, tient les fils et dispose à son gré pour son plus grand intérêt. J’étais présent à cette séance de la chambre des lords où le duc de Wellington fut sommé par les protectionistes de rendre compte de sa conduite, et je vous assure que jamais il ne m’a été donné d’assister à un aussi triste spectacle. C’était pitié de voir cet homme si éminent, illustre à tant de titres, mis en contradiction avec toute sa vie passée, combattant aujourd’hui les opinions dont il a été le plus ferme soutien. Pendant vivat minutes, à peine trouva-t-il la force de balbutier que il ne donnerait aucune explication. Je souffrais, comme tous ceux qui l’entendaient, de son embarras, de ses hésitations, de la difficulté qu’il avait de trouver des mots, et je ne pouvais m’empêcher d’être de l’avis de M. M… qui me disait le lendemain : « Il faut avoir gagné bien des batailles, rendu de bien grands services à son pays, pour se permettre de traiter aussi, cavalièrement la première assemblée politique du monde. » Le plus brillant orateur de la chambre des communes avait bien quelque raison de se montrer aussi sévère, même en oubliant les égards dus à la vieillesse.

Privés de l’appui du duc de Wellington, les protectionistes se rejetèrent sur lord Stanley : si de ce côté-là ils trouvèrent un ami fidèle, leurs espérances furent également déçues. Seul, lord Stanley était capable de prendre en main le gouvernement ; tous les vœux du parti conservateur l’y conviaient. Lord Stanley résista aux instances, aux prières de ses amis, et il persista à demeurer, serviteur inutile d’une cause désertée, désespérée, dans un lâche repos. C’est que, pour n’avoir pas, comme le duc de Wellington, abandonné ses convictions au profit de sir Robert Peel, lord Stanley n’en est pas moins un homme usé, dont la carrière politique estclose. En France, où vous jugez lord Stanley sur sa réputation passée, vous ne m’en croirez pas peut-être ; considérez cependant la vie tout entière, et surtout la conduite de lord Stanley depuis le bill de réforme, et vous serez de mon avis. Je vous avouerai sans détour que lord Stanley, qui a joui un moment de tant de considération, ne m’a