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ne garderait pas long-temps le pouvoir, lorsqu’il serait réduit aux seules forces de son parti. Il était prêt d’ailleurs à lui faciliter les voies pour le vote de cette mesure, et il comptait sur son adresse accoutumée pour ne pas s’aliéner les membres de son parti hostiles à cette réforme. Il se retrouverait donc ainsi, et dans un temps bien court, à la tête du parti conservateur, avec une majorité considérable, et débarrassé de la plus grave difficulté qu’il eût encore rencontrée sur son chemin.

Ce plan fut adopté, et le 6 décembre le cabinet se retirait. Deux jours après, le 8 au soir, lord John Russell recevait à Édimbourg l’ordre de se rendre en toute hâte à Osborne-House, dans l’île de Wight, où se trouvait en ce moment la reine. Ce message, dit-on, ne surprit que médiocrement lord John Russell. Peut-être ne pensait-il pas que sa lettre dût produire si promptement l’effet qu’il en attendait ; mais à coup sûr il prévoyait qu’avant peu de temps il serait mis en demeure de se charger du gouvernement. Lord John Russell arriva à Londres le 10, et le lendemain il était à Osborne-House. Dans son voyage rapide, il avait rencontré à une station de chemin de fer M. Cobden et M. Bright ; il leur avait fait part du message de la reine, et s’était assuré de leur concours et de celui de leurs amis pour le rappel complet et immédiat des corn-laws.

Toutefois la situation était loin d’être favorable pour les whigs : ils étaient, dans la chambre des communes, en minorité de près de cent voix. La chambre des lords était évidemment hostile à toute modification du régime économique ; les dispositions de sir Robert Peel et du parti conservateur n’étaient pas connues. Un cabinet whig ne pouvait donc avoir, dans l’état présent des choses, qu’une existence éphémère. On était loin de présumer quel serait le résultat des élections générales, si le parlement était dissous, et il n’était pas prudent de faire un appel au pays. Dans sa première audience, lord John Russell déclina la commission de former un cabinet, et appuya son refus de ces raisons péremptoires. Pour toute réponse, la reine lui fit lire une lettre que lui avait écrite la veille sir Robert Peel. Dans cette lettre, sir Robert Peel, après avoir énuméré les motifs de sa retraite, disait qu’il était prêt à aider de son concours comme particulier l’adoption des mesures que proposerait son successeur relativement aux corn-laws. Cette lettre changeait l’état de la question, et lord John Russell, revenant sur sa première résolution, parut disposé à accepter les ordres de sa majesté, si ses amis politiques en étaient d’avis.

A peine de retour à Londres, lord John Russell reçut la visite du ministre de l’intérieur, sir James Graham, qui lui apportait toutes les informations qu’il pouvait désirer sur la situation du pays ; mais ce qu’il souhaitait le plus de connaître, c’était la nature exacte des mesures que sir Robert Peel avait eu le dessein de mettre à exécution. Sur ce point, sir James Graham répondit le lendemain que sir Robert Peel ne jugeait