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proposer, en 1841, un pareil droit, qu’aujourd’hui à se prononcer pour la libre importation. D’ailleurs, ce droit fixe était, dans certains cas, purement fictif, et ces cas pouvaient se présenter très fréquemment. Ce qui prouve combien, en 1841, lord John Russell était avancé en matière de liberté de commerce, c’est que ce taux de 8 sh., qui aujourd’hui comblerait de joie les plus passionnés protectionistes, était alors regardé par eux comme devant infailliblement amener leur ruine. En outre, ni les défenseurs ni les adversaires des corn-laws ne considéraient cette réforme comme définitive. Pour les uns comme pour les autres, c’était un premier pas vers le rappel complet. Aussi les propriétaires accueillirent-ils avec reconnaissance l’échelle mobile de sir Robert Peel, qui, tout en abaissant les droits d’entrée, maintenait la protection dans une certaine mesure, et en même temps les partisans de la liberté du commerce s’accoutumèrent à compter lord John Russell et ses amis comme acquis à leur cause. La lettre de lord John Russell, bien qu’imprévue, n’étonna personne, car c’était moins une conversion subite, intéressée, déterminée par les circonstances, qu’une déclaration de principes retardée jusque-là par les calculs de la politique. Jamais coup de parti n’avait été si habilement conduit, et il méritait d’être couronné d’un heureux succès.

Sir Robert Peel ne put manquer d’avoir connaissance de la détermination prise par les whigs, et il fut convaincu que le moment était venu de rappeler les corn-laws. Son parti fut bientôt pris. Ce fut, comme il avait déjà fait tant de fois, de devancer les whigs et d’accomplir lui-même cette grande réforme économique. Il connaissait assez l’humeur de ses collègues pour savoir que plusieurs, et les plus considérables, le suivraient dans cette voie. Il s’attendait bien que la majorité du parti conservateur l’abandonnerait ; en revanche, l’appui de la ligue, dont la tactique était de rester neutre entre les deux partis, ne lui ferait pas défaut, et les whigs eux-mêmes se trouveraient engagés à soutenir ses mesures.

Un étrange concours de circonstances offrait à sir Robert Peel un prétexte à la fois plausible et honorable de réaliser ce plan. Depuis deux mois, le bruit se répandait que la récolte des pommes de terre s’annonçait mal en Irlande, et que ce pays allait être livré aux horreurs de la famine. Cette calamité, disait-on, s’étendrait aussi à l’Angleterre, où la récolte des céréales avait été mauvaise. Armé des avis alarmans qui arrivaient au cabinet des diverses parties du royaume-uni, sir Robert Peel annonça, le 31 octobre, à ses collègues, qu’il était résolu à modifier la législation des céréales. Grande fut la surprise de la plupart des membres du cabinet. Sir Robert Peel proposait d’ouvrir les ports aux blés étrangers par un ordre du conseil, ou de convoquer le parlement dans un délai de quinze jours. Selon lui, la première de ces alternatives