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Ici rien de pareil. Tout le monde se taisait, attendant avec anxiété le moment de connaître la vérité. Vous êtes, en France, dans une singulière erreur à notre sujet. Vous vous imaginez que les choses se passent dans les deux pays de la même manière. A Paris, dans les plus grandes péripéties politiques, le public n’est assurément pas dans le secret de la comédie, mais il n’y a personne désireux de le connaître, soit par intérêt ou seulement par curiosité, qui l’ignore. Vous avez des salons où tout se dit, même ce qui ne devrait pas se dire. Vous êtes si aimables, si obligeans, que vos hommes d’état n’ont pas le courage de refuser une confidence. Dans l’agréable commerce d’une société polie et élégante, on laisse échapper avec une bonne grace sans pareille, et qui exclut jusqu’à l’idée de l’indiscrétion, le secret de ses propres actes, de ceux de ses amis. Les déterminations d’un cabinet, les plans de campagne préparés et mûris dans la douce atmosphère d’un salon doré, éclos à l’influence séduisante de beaux yeux ou d’un esprit que l’âge a aiguisé plutôt qu’éteint, se révèlent naïvement, sans détour, dans les sympathiques épanchemens de la conversation. Le journaliste lui-même, que ses devoirs retiennent dans la sentine enfumée où s’élabore l’opinion publique, apprend le matin ce qui a été concerté la veille, et, s’il n’en révèle qu’une très petite partie, c’est qu’il lui plaît ainsi, ou que cela convient à ses amis les ministres du jour ou du lendemain.

Ne croyez pas, monsieur, qu’il en soit de même en Angleterre. Ce que l’on appelle le monde politique porte au plus haut degré l’empreinte de cet esprit de réserve et d’exclusion qui gouverne la société anglaise. Pour être admis dans ce cercle étroit, il faut ou un grand titre, ou des biens énormes, ce qui indique assurément une influence considérable dans le pays, ou encore des talens du premier ordre, car, comme l’a très bien observé Montesquieu il y a un siècle, la naissance, les richesses et le mérite, voilà tout ce qu’estiment les Anglais. Pourtant ces avantages ne suffisent pas : pour être appelé au gouvernement, ce n’est pas assez de disposer à son gré de plusieurs voix dans le parlement, d’avoir un million de francs ou plus de revenu, de posséder des districts, de tenir le pays entier attentif à tout ce qui sort de votre bouche ou de votre plume. Ce qu’il faut pour être admis à ces cénacles mystérieux où se règle la fortune de l’empire britannique, en vérité je l’ignore ; mais tenez pour certain qu’il n’y a pas en ce moment plus d’une quinzaine de personnes, parmi les amis de sir Robert Peel comme parmi les whigs, qui soient initiées au secret des affaires. Ce secret, les hommes privilégiés le taisent. Ce n’est ni par morgue ni par vanité : ils ne le disent pas, tout simplement parce qu’ici les secrets politiques se gardent. C’est un scandale public quand il transpire quelque chose de ce qui a été résolu dans un conseil de cabinet ou dans ces conférences