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alors les erreurs s’accumulent, car on a partout copié Buffon et Lacépède, qui eux-mêmes avaient pris beaucoup dans les anciens. On n’y rencontre presque jamais d’observations directes. Il est pourtant un point essentiel de la science auquel il serait temps d’attacher quelque importance. A côté des études anatomiques, il y a la recherche des relations admirables que présentent les différentes espèces avec les milieux dans lesquels elles vivent, et surtout avec l’homme ; l’histoire de leurs mœurs et de leurs instincts, champ encore aussi peu exploré qu’il est fertile. Il y a, en un mot, ce qui forme le véritable but de la science, la connaissance de l’être dans ses fonctions et dans ses rapports avec le reste de la création.

Aussi, quand nous voyons, à de rares intervalles, apparaître le travail d’un véritable observateur, d’un de ces hommes qui voient par leurs yeux, et, s’écartant du sentier battu, suivent avec persévérance et discernement les animaux dans les phases diverses de leur existence, sommes-nous certains d’y rencontrer, ce qu’on ne trouve point ailleurs, un intérêt véritable.

À ce titre, nous nous plaisons à signaler le dernier ouvrage publié par M. Marcel de Serres. L’étude des nombreux voyages auxquels se livrent la plupart des animaux et des causes qui les déterminent est une des plus curieuses de l’histoire naturelle. Les migrations annuelles des oiseaux, qui s’étendent quelquefois à des milliers de lieues, ont seules attiré depuis long-temps l’attention des naturalistes ; la plupart des êtres exécutent cependant comme ces derniers des pérégrinations dont un grand nombre ont également un caractère de périodicité. Les mammifères, les poissons, les reptiles, les mollusques, les plantes elles-mêmes, paraissent animés d’un mouvement de translation comme pour opérer incessamment la fusion de tous les êtres, équilibrer la distribution des races, et mettre chaque jour davantage à la portée de l’homme les créatures sur lesquelles il doit exercer sa puissance. A suivre depuis les temps historiques les nombreux chemins parcourus par les différentes espèces, on arrive à reconnaître que, parties d’un centre commun, elles ne cessent de s’avancer en rayonnant vers les points les plus opposés du globe, sans distinction de climat. Cette loi devient surtout frappante à l’égard de celles qui nous sont d’une utilité immédiate. Soit qu’un instinct particulier sollicite les animaux à quitter leur patrie primitive pour se livrer aux hasards des plus longs voyages, soit que l’homme, en rayonnant lui-même dans toutes les directions, ait attiré les uns et repoussé les autres, il est certain que les races nuisibles s’amoindrissent, tandis que celles dont on retire quelques avantages s’étendent et s’établissent dans les climats les plus opposés. Dans ces mouvemens qui sollicitent sans cesse chaque créature à se déplacer, M. Marcel de Serres a recherché quelle part pouvaient prendre l’instinct, la variété des saisons et la présence de l’homme. Il divise le règne animal en trois grands ordres : le premier comprend les êtres dont les migrations sont périodiques ; dans le second, il range ceux qui, toujours en voyage, n’ont point de patrie et mènent une vie errante ; le troisième renferme les stationnaires, qui ne quittent le lieu où ils ont pris naissance que pendant des temps très courts et sous l’influence de causes exceptionnelles.

C’est surtout dans la première de ces divisions que l’on rencontre les animaux qu’un instinct irrésistible, une force indépendante de la température et de toutes autres circonstances extérieures pousse avec une sorte de fatalité vers l’accomplissement