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de ses opinions absolutistes ; M. de la Pezuela, jeune officier appartenant au même parti politique, et dont le seul exploit consiste à avoir insulté en son fauteuil le président de la représentation nationale : voilà les collègues choisis par le soldat qui proclame sa dictature et affiche la prétention de résoudre à lui seul les difficultés qui pèsent sur l’Espagne. C’est à cette troupe d’écervelés que la reine-mère a commis la faute irréparable de livrer la destinée de sa fille.

Effrayée par l’engagement que le duc de Valence lui-même s’était vu contraint de prendre relativement au mariage de la reine et à l’approbation préalable des cortès, résolue à poursuivre le projet napolitain, devenu à peu près impossible en face du mouvement de l’opinion, la reine Christine paraît avoir cédé à la fatale pensée de substituer, dans cette circonstance décisive, la force matérielle à l’action des lois. C’est perdre le dernier prestige qui restât en Espagne à la restauratrice de la liberté constitutionnelle, c’est prendre un rôle que la nouvelle situation de la duchesse de Rianzarès ne comporte plus. D’ailleurs, si, comme tout porte à le croire, ce coup d’état a été tenté d’abord dans la pensée de favoriser la candidature matrimoniale du comte de Trapani, on peut prévoir qu’il aboutira à une tout autre conclusion. Le parti absolutiste est désormais le seul allié possible du ministère espagnol, et l’on peut croire qu’il saura faire ses conditions. Le mariage du comte de Montémolin sera nécessairement la première de toutes, et, dans la situation que cette étrange révolution fait à l’Espagne et à la reine Isabelle II, cette solution parait, à vrai dire, la seule possible. On n’ignore pas la rage avec laquelle le général Narvaez accueillait naguère les ouvertures de ce genre, lorsqu’on se permettait de prononcer devant lui le nom du fils de don Carlos ; mais la reine Christine a le tarif de ses colères, et il ne s’agira que de quelques millions de réaux de plus, si elle se résout à l’union de sa fille avec le fils de l’ancien prétendant. Quoi qu’il en soit, ce qui se passe au-delà des Pyrénées est trop grave, et touche trop directement les intérêts français pour ne pas exciter notre plus vive sollicitude. On dit que la question d’Espagne sera bientôt portée à la tribune. Nous croyons que dans cette affaire le cabinet a autant d’intérêt à s’expliquer que l’opposition elle-même. Il ne faut pas laisser penser à l’Europe que de telles orgies politiques trouvent une approbation quelconque parmi nous.

Pendant que l’Espagne voit le pouvoir royal rouvrir de sa propre main devant elle l’abîme des révolutions, qui semblait près de se fermer, le mouvement démagogique se calme en Suisse, et l’on peut espérer aujourd’hui qu’il ne sortira de l’assemblée bernoise qu’une révision de la constitution, révision depuis long-temps reconnue nécessaire. Les nouvelles des États-Unis continuent d’être pacifiques, et l’Angleterre, moins alarmée de ce côté, se livre, avec une ardeur chaque jour croissante, à la solution des grands problèmes économiques auxquels sont attachées ses destinées. Sir Robert Peel vient de remporter une seconde victoire non moins décisive que la première. Il s’agit maintenant d’appliquer les lois nouvelles pour écarter la famine dont le spectre se dresse déjà en Irlande. Le bill de la fièvre, les divers bills de travaux publics déjà votés, le bill de coercition que les communes vont discuter, seront de bien faibles palliatifs, et si de promptes mesures administratives, combinées avec des charités abondantes, ne viennent pas soulager une détresse toujours croissante, on peut appréhender et les crimes les plus horribles et le spectacle le plus hideux. Sir