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une subvention de 30,000 francs. Or, n’avons-nous pas toute raison de croire qu’une fondation qui a déjà tant produit d’elle-même recevrait d’un concours de ce genre une impulsion nouvelle, en même temps que sa force morale s’en accroîtrait ? Nous soumettons cette question à M. le ministre de l’instruction publique, fort certain que son goût élevé, sa parfaite intelligence d’un art qui déjà lui doit beaucoup, l’éclaireront en ce sujet bien mieux qu’il ne nous serait donné de le faire.

Nous citerions, au besoin certains morceaux du XVIe siècle qui dans la sphère musicale ont le même intérêt que les poésies des lyriques du temps. Marot donne la main à Clément Jennequin, l’auteur de la fameuse Bataille de Marignan et du Chant des Oiseaux, et tel madrigal vaut une villanelle du naïf Belleau. Il ne faudrait rien moins que la plume ingénieuse de M. Sainte-Beuve pour toucher les points de ressemblance, les affinités. Comment, en effet, ne pas reconnaître l’humeur souvent pédantesque des principaux coryphées de la pléiade littéraire dans ces compositions tout imprégnées de scolastique, où la syntaxe latine est traitée en fugue, où le musicien s’amuse à décliner le pronom hic, haec, hoc, selon les lois chromatiques d’un puéril contre-point ? Cette contorsion d’esprit qui se manifeste vers la fin du XVe siècle, et qui devait si facilement aboutir en France au précieux, a produit dans toutes les branches de l’art des résultats curieux qu’il serait bon de constater. Ces démons qui grimacent du haut des cathédrales, ces vipères et ces lézards qui rampent sur la porcelaine à travers les fruits du repas royal, tout cela tient de très près au canon tortueux dont une règle de la syntaxe latine va fournir le sujet. Il n’est certainement pas sans intérêt d’étudier cette disposition identique de l’esprit se manifestant sous toutes ses formes, et de constater le point de ressemblance qui se trouve entre le poète travaillant à mettre l’histoire romaine en madrigaux et le musicien qui ne demanderait pas mieux que de fuguer les élémens d’Euclide. Nous le répétons, on doit une vive reconnaissance à M. le prince de la Moskowa, qui, non content d’avoir découvert une infinité de compositions curieuses, est encore parvenu à les faire exécuter de telle sorte que tout un public se trouve initié par lui à ces charmans mystères de l’art musical au XVIe siècle. La poésie ne sera désormais plus la seule à montrer son tableau historique et critique.

Mme la duchesse de Rauzan, Mme la marquise de Gabriac et les autres dames patronesses du concert organisé pour venir en aide aux jeunes apprentis avaient suivi l’exemple donné par M. le prince de la Moskowa, en composant de chœurs et de morceaux d’ensemble la majeure partie de leur programme. Deux chœurs russes ont eu les honneurs de cette matinée, l’une des plus brillantes de la saison. Le premier de ces remarquables morceaux fut écrit par Sarti, au temps qu’il dirigeait la chapelle impériale de Paul Ier ; le second, exécuté sans accompagnement, est une prière de Bartinansky, l’Allegri moscovite, le maître auquel on doit toute la musique sacrée qui se chante aujourd’hui dans les églises russes. Autant qu’on en peut juger sur une composition détachée, sa musique se recommande par une exquise pureté d’harmonie, comme aussi par le sentiment religieux qui l’a inspirée. En revanche, un certain caractère original qu’on serait bien aise d’y trouver fait défaut ; là comme partout, dans les productions de l’art moscovite, le cachet de nationalité manque. C’est toujours plus ou moins le style italien et français, le sentiment des maîtres du XVIIe siècle, dont Bartinansky