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assez officiellement pour journaliste. On sait qu’il se livre à ses élucubrations périodiques sous le voile fort transparent d’un anonyme très connu : c’est la Gazette d’Aschaffenbourg qui les reçoit, et, comme elle se publie dans la résidence favorite du prince, on a tout lieu de croire qu’il en est à la fois l’éditeur et le rédacteur. J’ignore s’il a des lecteurs assidus ; mais ceux-là pourraient surprendre à l’avance plus d’un secret de gouvernement. Ce fut ainsi par exemple qu’on dut pressentir ces fameuses ordonnances qui, le même jour, obligèrent les danseuses du théâtre royal à porter des pantalons à la turque, et toutes les communes de Bavière à graver sur leurs sceaux l’image du saint de la paroisse. On commençait pour le moment à remarquer qu’il était souvent question des bons effets de la cotte de maille sur la poitrine des soldats, et l’on prévoyait un changement dans l’uniforme. De plus graves sujets vinrent tout d’un coup saisir l’attention. Aschaffenbourg est sur la frontière de Hesse, très près de Francfort. Depuis quelque temps, la pieuse gazette se scandalisait beaucoup des mauvaises dispositions de ses voisins. Le roi Louis n’était cependant pas alors en très bonne intelligence avec le parti ecclésiastique, dont, il a fini par devenir l’instrument après l’avoir lui-même mis au monde ; il avait beau multiplier les concessions et les couvens, on demandait toujours. L’impatience le gagna, et M. de Reissach, coadjuteur de Munich, le chef de la congrégation en Bavière, fut, je crois, un instant disgracié ; mais, pour un peu de froideur, on ne rompt pas avec de si vieux amis : le journaliste d’Aschaffenbourg allait réparer amplement les torts de sa majesté bavaroise.

Quelques mois avant le passage de l’abbé Ronge, dans le courant de juillet, il était arrivé à Francfort un incident qui eut assez d’éclat en Allemagne. Un prêtre catholique avait refusé l’absolution à une femme mariée avec un protestant, parce qu’elle ne pouvait lui promettre d’élever ses enfans dans sa religion. L’époux irrité alla se plaindre à la police, et l’on fit sommation au prêtre d’absoudre sa pénitente en même temps qu’on priait son supérieur, l’évêque de Limbourg, de l’appeler ailleurs. Le conflit était insoluble, comme il le sera toujours, ainsi posé, chacun se retranchant derrière un droit inaliénable. Force resta provisoirement aux gendarmes qui, par ordre du sénat, conduisirent le chapelain Rooss hors du territoire francfortois, et l’on porta immédiatement la question devant la diète germanique. Le sénat de Francfort peut s’attendre qu’il n’aura pas de son côté la voix de la Bavière ; les lamentations de la Gazette d’Aschaffenbourg l’ont assez prévenu. Mais ce fut encore une bien autre colère lorsque l’on célébra la solennité rongienne : le royal publiciste alla cette fois, dans les épanchemens de sa verve, jusqu’à certaines témérités dont il est bon de tenir note. Cette histoire-ci ne vient pas si fort à l’aventure.