Francfort est peut-être l’endroit d’Allemagne où l’on aille le plus et que l’on connaisse le moins. Francfort durant la foire, avec sa population flottante et l’agitation de son marché, n’est pas du tout le vrai Francfort. Au-dessous de cette ville improvisée, qui apparaît en quelque sorte à la surface pour quelques semaines et couvre le reste de son fracas, il y a comme une seconde ville qui est celle de toute l’année, une ville de province, beaucoup moins émue que l’on ne penserait du contact de l’autre. Ce ne sont pas absolument les gens de la petite comédie de Kotzebue ; mais qu’on lise la première partie des mémoires de Goethe (Dichtung und Wahrheit ), et l’on y trouvera çà et là une peinture fidèle des compatriotes de l’auteur ; il faut s’en rapporter à l’impression générale que laisse son récit ; à peu de chose près, le tableau est encore exact. Il s’en rencontre même plus d’un trait dans ces farces favorites des Francfortois, qui, comme un vaudeville parisien, sont lettre close pour l’étranger. C’est toujours cette population moitié aristocratique et moitié bourgeoise, vivant fort en elle-même, soit orgueil, soit habitude, parlant volontiers une espèce de cant, un jargon national qu’elle se pique d’avoir, très entichée de ses vieilles prérogatives impériales, médiocrement soucieuse de tout le mouvement d’aujourd’hui (on sait comment les citadins de Francfort reçurent les conspirateurs de 1833). Le seul point par où l’effervescence du moment pût l’atteindre, c’était le côté des choses de religion. Le sentiment protestant est là très fort et très pur ; on ne discute ni on ne subtilise, on pratique ; on a sa communion et l’on s’y tient ; ce n’est pas de la dévotion bien quintessenciée, c’est un zèle bourgeois qui va non point jusqu’au fanatisme, mais jusqu’au préjugé ; le préjugé est très âpre par places ; on dirait de certaines villes de comté en Angleterre. La dernière résistance contre laquelle se soit heurtée cette royauté israélite qui trône par toute l’Europe, c’est sur les lieux ; même où elle avait commencé sa fortune ; il n’y a pas encore bien long-temps que les princes de la finance ont droit d’entrer au théâtre et au casino. Si nombreuse que soit la communauté catholique, son esprit n’est point assez décidé pour modifier les tendances protestantes qu’elle subit plutôt qu’elle ne les combat. Aussi l’irritation causée par le pèlerinage de Trèves avait été générale, et les nouvelles doctrines recrutèrent tout de suite de décidés, partisans à Francfort. Il s’y dit bientôt plus de mal que jamais des jésuites, on déclama contre Rome avec cette horreur naïve qui est aussi propre à l’Allemagne que l’est à l’Angleterre son cri farouche de no popery. Bref, l’effervescence était au comble quand l’abbé Ronge arriva ; sa visite devait être courte, et je n’y pense qu’à cause des suites ; celles-ci sont assez curieuses. L’abbé Ronge eut le même honneur qui était échu jadis à Luther : il fut attaqué de la plume d’un roi.
Le roi de Bavière n’est pas seulement un artiste et un poète, il passe