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elle semblait alors un colosse qu’on frappait où l’on pouvait, parce qu’on désespérait de l’atteindre jamais assez mortellement. Aujourd’hui on la juge, on l’explique ; on reconnaît que l’esprit national a mûri sous ce joug impuissant à contenir tant d’essor ; il fallait apprendre, et, si rude qu’ait été l’apprentissage, l’éducation est faite, on s’en glorifie : c’est un irrévocable triomphe. A quoi servirait l’entêtement des conservateurs aveugles du statu quo matériel, quand la pensée qui les a vaincus est si sûre d’elle-même ? Écoutons-la seulement parler dans sa sagesse et dans sa force. Le jour où M. Welker sollicitait la chambre de se prononcer contre les arrêtés de 1834, il terminait ainsi son discours : « Voici la saison où tout renaît dans la nature, il circule aussi comme un souffle de printemps dans le monde moral, et je sens une nouvelle vie spirituelle qui s’éveille dans la patrie allemande. Il sera fait droit au peuple allemand, il deviendra libre, libre de pareils engagemens, libre des chaînes de la réaction systématique, libre de tous les abus qui le déshonorent. On entend souvent les ministres reprocher aux libéraux qu’ils travaillent à la destruction de la monarchie : je leur dis en face qu’il y a plus d’esprit conservateur dans le vrai libéralisme que dans ces arrêtés despotiques dont ils sont les gardiens. Il est des libéraux qui verseraient des larmes de joie s’ils étaient sûrs que le peuple allemand, seul de tous les peuples de la terre, pût reconquérir les droits les plus sacrés par l’unique usage de sa puissance morale. Il est des libéraux qui comptent arriver à l’émancipation par des moyens pacifiques ; il en est, et je suis de ceux-là. Mais la voie dans laquelle nous précipitent ces funestes arrêtés, c’est une voie sur laquelle on rencontrera l’insurrection toute en armes sans pouvoir lui fermer la porte. Repoussons, messieurs, cette politique que j’appelle malheureuse. »

Tel est dès à présent le langage des vrais révolutionnaires. L’Allemagne, arrivée là, ne reculera plus.


FRANCFORT-SUR-MEIN.

Francfort aussi était tout en rumeur ; on attendait l’abbé Ronge, et on lui préparait un accueil solennel. Je l’avais vu arriver à Stuttgart, et j’étais un peu désenchanté de ces grandes fêtes qui, disait-on, marquaient partout les entrées du réformateur ; la cérémonie m’avait paru froide, peut-être était-ce le tempérament du pays. A Francfort, il n’en fut pas de même ; toutes les gazettes allemandes retentirent bientôt du bruit d’un triomphe ; ç’avait été un enthousiasme universel, des arcs de verdure, des complimens publics, un cortège pompeux, une véritable ovation populaire à laquelle le sénat s’était associé. « Nous avons eu notre jour de Ronge ! » s’écriait-on dans toutes les correspondances francfortoises.