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voie qui lui fût ouverte en Allemagne ; elle n’a qu’à persévérer. Elle va droit à l’ennemi, elle s’attaque presque de front à la diète, et combat non pas seulement pour le self-governement des peuples vis-à-vis des cabinets, mais aussi pour le self-governement des cabinets vis-à-vis de l’étranger. Elle prend d’une main les chartes nationales, de l’autre ces conventions spéciales des princes qui les ont si profondément modifiées sans même respecter les traités de Vienne : au nom des premières, elle demande justice des secondes ; elle campe sur ce terrain légal d’où l’on est sûr de chasser un pouvoir réactionnaire, quand on sait soi-même s’y affermir ; elle conjure les ministres de lui dire s’ils sont les ministres de leur pays ou les ministres de Francfort. La réponse est dangereuse, et l’on ne pourra pas toujours se taire.

Je doute que la diète ait traversé jamais une crise plus grave, et de ce moment pacifique il sortira peut-être de singuliers embarras. Quel instructif et terrible contraste ! La Prusse recueille le fruit de tous ces vagues désirs d’unité morale dont l’Allemagne est occupée ; l’Autriche porte le faix de toute cette aversion amassée depuis trente ans contre le seul établissement où repose encore l’unité politique de l’Allemagne ; car c’est l’Autriche, c’est M. de Metternich que la tradition présente à l’imagination publique comme le principal agent de cette grande machine ; c’est à lui qu’on rapporte cette direction souveraine derrière laquelle les peuples germaniques ont enfin senti qu’ils s’annulaient lentement par la complicité de leurs cabinets. Si M. de Metternich tient à diminuer les orages qui menacent l’ouverture de sa succession, il serait sage qu’il fît quelque chose pour diminuer aussi à l’avance cette universelle réprobation suscitée par la diète ; il serait à propos qu’il intervînt avec plus d’équité entre les gouvernemens et les nations ; il devrait empêcher, par une tutelle plus libérale, ces scandales que les petits princes donnent toujours à leurs sujets, les abominations judiciaires de Cassel, la banqueroute frauduleuse de Coethen : il devrait surtout, soit pour lui-même, soit pour ce mystérieux conseil de rois dont il est le doyen, il devrait effacer la violence et la cruauté du nombre des ressources politiques. On n’a pas besoin d’être un homme d’état pour le savoir : le règne de la force brutale est partout passé ; les affaires de ce monde ne peuvent plus rester aux mains des furieux. La fureur ne tient pas contre le sang-froid de l’intelligence ; on sait que les partis les plus contraires ont leur raison d’être ; on déteste les idées, on plaint les personnes ; oui, l’on plaint ses adversaires quand on est arrivé à les comprendre ; malheureusement pour eux, on ne les comprend guère jamais qu’une fois leur rôle fini. L’Allemagne est loin maintenant du temps où Charles Sand allait poignarder Kotzebue, et marchait à l’échafaud, une rose à la main, pieusement convaincu d’avoir bien fait. Cette lourde tyrannie, dont le pamphlétaire tombait sous les coups d’un pauvre insensé,