plus respectés. Je n’ai pas le courage de détailler une à une toutes les turpitudes de cette procédure ; je suis pressé d’arriver au bout. Le jugement prononcé, il fallait publier l’instruction pour obéir à la charte de 1831 : on obéit. Peut-être ne prévoyait-on pas l’effet de cette publicité rétrospective ; dernier recours de l’innocence frappée dans l’ombre ; peut-être voulait-on braver le scandale : mal en prit aux juges de Marbourg. Ce fut une clameur instantanée dans l’Allemagne entière ; les défenseurs s’offrirent de tous côtés à M. Jordan : les publicistes, les jurisconsultes, les poètes eux-mêmes, protestèrent d’un accord unanime contre cette odieuse sentence, et la cause fut enfin portée devant le tribunal suprême de Cassel ; mais rien ne se fait vite avec ces instrumens rouillés d’une justice restée presque barbare. C’était seulement en novembre 1845, plus de six ans après l’ouverture de l’enquête, c’était après tant de tortures morales, tant de privations matérielles, que M. Jordan devait recouvrer sa liberté. La cour de cassation l’a renvoyé complètement absous ; mais, par une dernière représaille de ce gouvernement implacable, on l’a laissé sous le coup de la déchéance universitaire dont il est atteint, et on l’a condamné à une amende de cinq thalers « pour s’être permis une expression inconvenante dans un passage de sa défense écrite. » Je traduis encore le mot par le mot : pourrait-on rien ajouter ?
M. Jordan est maintenant rentré dans cette maison que la mort avait visitée durant sa triste absence. Je désirerais que ces quelques pages, dictées par une émotion très sincère, allassent l’y trouver et lui porter un peu de soulagement au milieu de ses afflictions. J’ai toujours vu que c’était une joie pour les persécutés qui souffraient loin de la France, quand ils apprenaient qu’en France on parlait de leur malheur. En France pourtant, nous ne sommes plus des redresseurs de torts ; le temps est passé de ces beaux airs ; c’était un ridicule de jeunesse, notre âge mûr est devenu sage ; mais tel est ce grand souvenir de nos vaillances d’autrefois, que nulle part il n’y a de victime dont le cœur ne se tourne aussitôt vers nous du plus profond de sa misère. On ne veut pas croire que tout ici s’assourdit et s’endort. On attend obstinément que l’écho s’éveille, l’écho généreux qui répéta si souvent les plaintes du monde. Dieu fasse qu’on n’attende pas en vain !
Puisse maintenant cette trop véridique histoire tomber à propos sous les yeux de l’homme d’état auquel j’ai voulu dédier ces simples notes de voyage ! Le premier lecteur que je souhaite au récit des procédures de messieurs de Cassel, c’est M. de Metternich. Je souhaite qu’il y sache découvrir, et cela sera peut-être aisé, combien d’indignation de pareilles iniquités susciteront toujours dans ces libres pays qui règlent l’opinion de l’Europe ; je souhaite surtout qu’il arrive à comprendre que l’on déshonore l’Allemagne en la privant ainsi du plus juste bénéfice