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aucune garantie ; ils n’ont réussi qu’à lui supprimer le droit de réfléchir, et, pour l’empêcher d’être un prévaricateur, ils en ont fait une machine : c’est là qu’aboutit leur théorie des preuves judiciaires, c’est l’unique moyen de salut qu’ils réservent à l’opprimé.

Les preuves matérielles ont, dans la procédure germanique, cette autorité absolue qu’exerce chez nous la décision morale du jury : elles décident toutes seules, et le juge, une fois qu’elles ont parlé ce langage grossier qui leur est propre, est tenu d’appliquer la peine qu’elles emportent, comme il est tenu d’acquitter quand elles se taisent. N’est-ce pas toujours le vieux principe au nom duquel on interrogeait les prévenus sur le chevalet de la torture, pour leur arracher une confession sans laquelle il paraissait impossible de les condamner ? La certitude de la faute punissable ne ressortait pas, pour l’inquisiteur, du cri de sa conscience intime ; il la plaçait exclusivement dans une démonstration extérieure qui lui frappât les sens, et, celle-ci obtenue, il prononçait sans remords : Dixi et salvavi animam meam. L’évidence qu’il voulait, c’était une évidence objective, presque indépendante de l’adhésion même de l’esprit, de la foi subjective, dont elle pouvait même dispenser. Tel est encore le singulier langage de la science allemande, et c’est là qu’elle s’en tient aujourd’hui, sans avoir jamais gagné sur les répugnances politiques l’introduction d’un principe plus libéral, et, si j’ose ainsi parler, plus spiritualiste. Elle s’occupe uniquement de graduer et d’échelonner ces preuves de fait qui restent pour elle les seuls élémens de toute justice, elle les analyse, elle les compare ; mais les opinions des jurisconsultes sont assez profondément diverses pour se détruire toutes, pour montrer combien il est impossible d’éluder ainsi le jeu nécessaire de l’esprit là où il est appelé à résoudre lui-même, combien il est faux de vouloir le réduire à tirer ses convictions toutes formées du dehors, sans lui réserver sa libre part dans leur formation. Les uns, en effet, n’admettent comme valables que des preuves directes, un témoignage positif, un aveu catégorique, le corps même du délit ; sans une preuve directe, l’accusé, fût-il coupable, est absous ; fût-il innocent, il est condamné, s’il a contre lui l’évidence matérielle. On ne saurait se défier davantage de la conscience humaine, par peur d’un juge suspect. D’autres ne veulent point consentir à cette impérieuse tyrannie, qui annule toute critique au profit peut-être d’un hasard brutal ; ils établissent très bien qu’on doit s’en rapporter à la preuve indirecte au même titre qu’à la preuve directe ; ils demandent que le magistrat puisse équitablement scruter les indices et se guider par les circonstances accessoires ; ils n’oublient qu’une chose, c’est que le magistrat n’est pas le jury : comment donc se garder du magistrat, avec cette grande licence qu’on lui permet en le jetant dans la voie des inductions et des conjectures ? Viennent alors de minutieuses précautions contre l’abus si facile