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L’arrêt du tribunal portait en substance : « Accusé d’une tentative de haute trahison pour avoir pris part à des complots ainsi qualifiés, le professeur Jordan est acquitté sur ce premier chef. — Accusé d’avoir aidé cette tentative de haute trahison, par cela seul qu’il ne l’a point empêchée, atteint et convaincu sur ce second chef, le professeur Jordan est condamné à cinq ans de citadelle, chassé des services publics et privé de la cocarde nationale. » Le code pénal de Wurtemberg, le plus sévère peut-être de toute l’Allemagne, considère ce prétendu crime comme un simple délit, punissable au maximum par deux années de réclusion. Les juges du prince-électeur avaient été chercher une vieille ordonnance de l’autre siècle pour châtier au goût, de leur maître le silence d’un homme dont ils étaient obligés d’innocenter les actes. Qu’était-ce encore que cette absurde rigueur auprès des moyens par lesquels on l’avait provoquée, auprès des motifs sur lesquels on fondait une si étrange culpabilité ?

Un ami de M. Welker, confiné dans une forteresse pour cause politique, menacé suivant toute prévision d’une détention perpétuelle, reçut un jour la visite inattendue d’un de ses inquisiteurs. L’entretien devint confidentiel ; il fut parlé de libération prochaine ; il y eut même l’espoir d’une grosse récompense adroitement insinué : tout ce que le prisonnier avait à faire pour la gagner, c’était de compromettre M. Welker dans ses dépositions. J’avais peine à croire un pareil récit ; je le crois aujourd’hui : le tribunal de Marbourg a publié sa procédure ; il en avoue tout autant, et c’est avec ces ignobles manœuvres qu’il a ramassé les élémens d’une condamnation. On avait employé six années en démarches souterraines, quatre années en instructions judiciaires ; on n’avait encore trouvé que deux faux témoins ; il fallait bien en tirer le meilleur parti possible : on leur associa un espion reconnu, un piétiste à moitié fou, un ancien étudiant voleur et ivrogne ; c’étaient là d’honnêtes gens à côté des deux coryphées de l’accusation. Ceux-ci, encore chargés de lourdes peines, soit pour la cause même dans laquelle ils déposaient, soit pour leurs propres crimes, venaient devant les juges mentir et se contredire sans pudeur ; on recevait leur serment, on leur accordait une partie de leur grace à chaque dénonciation nouvelle ; on les récompensa publiquement avec de l’argent et des places une fois le procès terminé. Le tribunal, cependant, était obligé de confesser dans le préambule de son arrêt que, « la personne des témoins n’étant pas suffisamment digne de foi, leur témoignage, qui servait seul de preuve directe, perdrait nécessairement de sa valeur ; mais, ajoutait-il, ce qu’il en restait pouvait encore constituer des preuves indirectes, et c’était assez dans le cas donné pour déterminer la conviction des juges. Ainsi, par exemple, le dire de tel d’entre eux ne méritait en général aucune confiance ; mais il en résultait pourtant que des points jusqu’alors isolés et obscurs se