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en cette inoffensive étude, abandonne ses travaux de critique et d’érudition ; il applique à des intérêts plus proches, plus délicats et plus sérieux ce jugement ferme et lucide qui le distingue : il est uniquement occupé des grands événemens accomplis en Allemagne depuis la fin du dernier siècle ; il les a choisis pour l’objet de ses leçons, et ses leçons formeront un livre qui sera bien une œuvre politique. M Gervinus a, je crois, été nommé député dans ces élections dont j’apercevais en passant les orageux préliminaires ; « il était temps, me disait-il, pour quiconque avait une influence légitime, d’en user au profit de la vie publique ; c’était l’étroite obligation des gens raisonnables et considérés de s’adonner à la pratique des institutions constitutionnelles, s’ils voulaient vraiment que le peuple allemand pût enfin les avoir à cœur et s’y attacher. » Banni de Goettingue en 1837, M. Gervinus savait trop ce qu’il en coûte de n’avoir pas le peuple derrière soi.

Il faut se représenter toute l’importance personnelle justement acquise là-bas aux professeurs des universités pour comprendre l’effet de leur conduite, quand on les voit ainsi surveiller de près la marche des choses et dire leur mot aux occasions. Personne n’y manquait plus à Heidelberg. Le doux et fin M. Mittermaier s’était sévèrement élevé contre les iniquités de ce déplorable procès de Jordan que je vais tout à l’heure raconter. Le digne M. Schlosser, le vieux Paulus, n’avaient pas craint d’envoyer des lettres de condoléance aux habitans de Leipzig après le funeste événement du mois d’août, et dans une adresse solennelle ils déploraient hautement ce régime d’arbitraire auquel il en coûtait trop peu de verser le sang des citoyens. Qu’on y songe cependant, ces noms-là sont parmi les plus respectés et les plus populaires de l’Allemagne, et l’on n’était pas habitué à les trouver si fort engagés en de pareilles rencontres. Il semble qu’il y ait partout un souffle de guerre. M. Paulus frémissait encore de cette lutte qu’il vient de soutenir devant les tribunaux contre M. de Schelling, et, à l’entendre exprimer ses griefs avec tant de verdeur, j’oubliais ses quatre-vingt-quatre ans. On sait le sujet de cette querelle, dans laquelle il entrait, comme toujours, de la politique sous air de théologie. Lorsque le bruit se répandit que M. de Schelling, installé dans le camp de la réaction religieuse, apportait sa science nouvelle au service des piétistes, le doyen de la critique protestante se leva tout aussitôt pour incriminer cette prétendue défection du doyen des philosophes ; il en appela hardiment à l’opinion et publia, au commencement de 1843, le cours professé à Berlin de 1841 à 1842 ; il donnait le propre texte du maître recueilli dans les cahiers de ses disciples, et l’accompagnait d’un commentaire qui faisait une bonne moitié de l’ouvrage. Le commentaire n’était pas sans doute un panégyrique, M. de Schelling le compta pour rien et répondit simplement par une poursuite en contrefaçon ; la réponse était sommaire