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sous bénéfice d’inventaire cette commisération que quelquefois on accorde aux troupes d’Afrique ; il me semble que presque toujours cette aumône sonne faux, comme si le fond en était d’un autre métal que celui dont la surface est recouverte. Sous l’argent de la sympathie, il y a un triple airain de médisance, de haine, de récriminations, et l’éloge en faveur des uns est doublé d’une accusation contre d’autres. D’ailleurs, il ne faut pleurer que fort discrètement sur les infortunes endurées pour la cause du bien et pour l’accomplissement du devoir, car les larmes amollissent ceux qui les répandent et ceux sur qui elles tombent. Souvent, dans ces gémissemens sur les misères de nos soldats, il y a autre chose qu’une émotion sincère, autre chose même qu’un prétexte au blâme ; il y a le cri des natures faibles et détendues, qui s’irritent contre les natures énergiques, et s’indignent à la seule idée d’une existence fortement trempée. Il y a le blasphème de la voluptueuse Capoue contre cette Rome où l’on apprend la simplicité, la fierté, le dévouement. Plus d’un, qui ne prétend nullement à être Thémistocle, trouve que les lauriers de Miltiade l’empêchent de dormir, quoiqu’il ne veuille pas plus de Salamine que de Marathon. Comme la mère des Gracques considérait avec un orgueil mêlé de tristes pressentimens ses fils grandissant dans une éducation austère pour devenir les réformateurs de leur pays, la France doit voir avec une joie profonde, quoique mélancolique, avec une mâle satisfaction, qu’une partie de ses enfans se forment aux durs labeurs et à une vie d’abnégation et de sacrifice au devoir. Dieu seul sait quelles tâches sont réservées à la vertu française. Si au-delà des mers il y a des peuples à dégager des liens de la barbarie, de ce côté il y en a d’autres à arracher aux mains sanglantes des barbares.

A. de la Tour du Pin.