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puisse trouver, selon ses besoins, tout ce que la spéculation a donné dans le domaine de la philosophie proprement dite, tout ce que l’érudition a découvert dans le champ de l’histoire. Descartes a eu son dictionnaire dans le Lexicon nationale de Chauvin, Leibnitz dans le Lexique de Walch, Kant dans l’Encyclopédie philosophique de Krüg. L’école éclectique devait avoir son tour ; elle était, par la direction de ses travaux, par la nature de ses principes, plus propre que toute autre à mener à bien une telle entreprise En effet, un dictionnaire philosophique, pour être vraiment utile, vraiment digne d’une grande école, doit être à la fois systématique et impartial : systématique, parce que, sans doctrine, il n’y a ni unité, ni caractère, ni influence ; impartial, parce que le but serait complètement manqué, si toutes les opinions ne pouvaient pas puiser à cette source commune avec une égale confiance. Les ouvrages de Krüg, de Walch et de Chauvin ne font guère connaître qu’une seule école. Bayle et l'Encyclopédie du dix-huitième siècle embrassent, avec la philosophie, l’histoire, les sciences, la religion, la politique ; ce sont, avant tout, des écrits polémiques ; d’ailleurs, l’érudition a fait de nos jours d’immenses progrès, un quart de siècle a vu renouveler presque toute l’histoire de la philosophie. L’ouvrage dont M. Franck dirige la publication a donc le mérite incontestable de venir à propos ; l’école éclectique, en se chargeant de l’exécuter, a choisi la tâche qui lui convenait le mieux, et cet excès d’impartialité qu’on lui reproche quelquefois, et peut-être avec raison, n’est ici qu’un mérite de plus. M. Franck s’est réservé la plupart des articles dogmatiques ; c’est une sage mesure : le Dictionnaire présente ainsi un corps de doctrines parfaitement liées ; quoiqu’on ait réussi avec un rare bonheur à éviter les disparates et les contradictions entre les articles d’histoire confiés à tant d’auteurs différens, il aurait pu sembler téméraire de compter sur le même succès pour la philosophie proprement dite. La plupart des articles de M. Franck sont d’ailleurs des mémoires approfondis, pleins de talent et d’originalité. Quant à l’histoire, elle a été habilement partagée entre les divers collaborateurs, de manière à demander à chacun d’eux ce qu’il savait le mieux : Aristote, à M. Barthélemy Saint-Hilaire, qui l’a traduit tout entier ; les anciens sceptiques, à M. Émile Saisset, auteur de l’excellent mémoire sur Œnésidème ; les Alexandrins, à M. Jules Simon, qui le premier a écrit une histoire complète de l’école d’Alexandrie. M. de Rémusat, dont l’article Esprit est un chef d’œuvre de clarté et de sagacité métaphysique, M. Damiron, M. Munk l’orientaliste, M. Charles Jourdain, les talens les plus élevés et les plus variés, ont concouru à cette publication, qui modestement, sans bruit, sans éclat, rend un service capital à la philosophie et aux lettres.



V. de Mars.