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sa bonne fortune et ses coups d’état avaient mis de son côté les plus solides garanties du pouvoir. On n’a pas encore oublié comment le ministre aujourd’hui fugitif, membre d’un cabinet septembriste en 1842, abrogea par surprise la constitution de septembre, pour la remplacer par la vieille charte de dom Pedro. Cette charte lui livrait les élections, supprimait le droit d’association entre les citoyens, le droit d’initiative dans le parlement, attribuait à la couronne le maniement exclusif des relations extérieures. Trois décrets promulgués à la fois au mois d’août 1844 avaient enlevé toute indépendance à la magistrature, aux universités et à l’armée. La nation entière était plongée dans une torpeur profonde, et, n’ayant aucun souci de ces débats, montrait une égale indifférence pour toutes les constitutions qu’elle avait vu passer. Enfin, M. da Costa-Cabral était spécialement protégé par la reine, ou pour mieux dire par l’influence personnelle de l’époux couronné de dona Maria ; c’était à ce prince surtout qu’il avait sacrifié ses collègues, et tous deux avaient mené à bonne fin une véritable restauration de l’absolutisme. Aimé à la cour, maître du pays et des chambres, M. da Costa-Cabral a succombé en huit jours dans une insurrection provoquée par la levée d’un misérable impôt. La détresse financière avait miné sa grandeur politique ; il est tombé d’un coup. Portant le poids des fautes et des dissipations antérieures, incapable de rétablir lui-même le crédit public, il avait eu recours aux pratiques les plus onéreuses de l’ancienne routine financière il avait créé des places pour les vendre, retenu les gages des fonctionnaires, affermé les revenus indirects à des compagnies de traitans, et constitué les monopoles sur tous les objets de première nécessité. Le déficit s’était élevé à près de cinquante millions en quatre ans ; les ministres n’en faisaient pas moins bien leurs propres affaires. Le ministre du trésor comptait au département de la guerre les frais d’entretien de dix-huit mille soldats ; il n’y en avait cependant que onze mille sur pied. Le papier de l’état n’était accepté que lorsque M, de Tojal engageait personnellement sa signature. Le peuple, que toutes ces spéculations atteignaient dans sa subsistance, a fini par se lasser de payer sans cesse des taxes nouvelles, et à la dernière il a pris parti, non pas contre la politique de M. Cabral, mais contre ses collecteurs. Malheureusement pour ce ministre, il s’était beaucoup isolé ; comme il avait successivement abandonné tous les camps, il avait des adversaires dans tous, et il tenait trop peu de compte de ses propres collègues pour être sûr de leur attachement. C’est ainsi que l’insurrection a pu pousser au ministère des hommes considérables, et que les membres de l’ancien cabinet ont favorisé des combinaisons nouvelles en se rattachant d’abord aux cabinets en formation. La cour seule et la garde municipale de Lisbonne ont soutenu les Cabral jusqu’au bout, celle-ci par le désordre et la violence, celle-là par de sourdes intrigues, essayant de neutraliser le mouvement tout en l’acceptant. Cependant il a fallu céder : M. de Villaréal n’ayant pu remettre le ministère qui venait de se dissoudre, on a été obligé d’accepter M. le duc de Palmella, d’abord avec des chartistes purs, avec les collègues de M. Cabral, MM. de Terceira et de Tojal, puis avec des septembristes seuls, une fois M. Mousinho d’Albuquerque et M. Sanda Bandeïra appelés aux affaires. Peut-être même M. de Palmella sera-t-il forcé de se retirer devant les exigences de la réaction victorieuse ; l’homme de la situation, c’est évidemment le chef du pronunciamiento vaincu d’Almeïda, M. de Bomfim. Les frères Cabral se sont réfugiés en Espagne,