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ont été obtenu et ils deviendront plus décisifs encore le jour où le gouverneur-général, contraint enfin à renoncer à son projet de colonisation militaire, condamnée par le sentiment unanime de la chambre, prêtera aux efforts des colons civils un concours qui leur a manqué jusqu’ici. Désormais le jour se fait sur les affaires d’Afrique, et il faudra que tout le monde obéisse à l’énergique volonté du parlement. La chambre veut une vaste et rapide colonisation civile, et elle n’en veut pas d’autre. Elle est convaincue qu’il sera facile, moyennant des garanties qui ont manqué jusqu’ici, d’attirer vers le sol africain une partie de ce courant d’émigration européenne, qui envoie annuellement plus de deux cent mille hommes sur le continent américain. Le crédit et la spéculation viendront en aide aux tentatives individuelles des petits propriétaires. A côté des fermes de quarante hectares, directement concédées à des cultivateurs pourvus de quelques ressources, se placeront les vastes concessions sur lesquelles pourra s’exercer cette fois, sans péril pour la fortune publique, l’ardeur de la spéculation. Il suffira de quelques belles opérations accomplies en Algérie pour donner aux capitaux la confiance qui leur manque en ce moment. Qu’on se rappelle à quel point cette confiance s’était retirée des chemins de fer après le désastre de la première compagnie d’Orléans, après la chute de la compagnie de Rouen par les plateaux, et qu’on voie le point où nous sommes arrivés. Le succès de deux entreprises d’une importance médiocre a suffi pour opérer ce grand changement et pour faire passer d’un découragement universel à la plus folle témérité. Cette fois du moins les oscillations de l’agiotage profiteraient à la France, et nous appelons de tous nos vœux l’instant où les actions de grandes entreprises agricoles en Algérie seront cotées à la bourse.

La question du ministère spécial a trouvé peu de faveur devant la chambres M. le ministre des affaires étrangères, qui en avait, dit-on, conçu la pensée, paraît l’avoir abandonnée ; du moins ne s’est-il pas expliqué sur ce point, et a-t-il réservé toutes les matières qui se rapportent à l’organisation définitive de la colonie. Il est reconnu qu’il faut contenir et limiter l’autorité militaire, et qu’il est impossible de prolonger plus long-temps le scandale d’une lutte ouverte entre l’administration parisienne et l’administration locale ; mais tel est le seul résultat acquis par le long débat de la chambre. Tout le reste est abandonné au cabinet, et, dans le règlement de ces grandes affaires, il est malheureusement à craindre qu’il ne consulte ses intérêts politiques et parlementaires plutôt que ceux de notre nouvelle France. Quoi qu’il en soit, M. le maréchal Bugeaud revient pour son élection, qui paraît devoir être difficile ; il continue à manifester la ferme intention de ne pas retourner en Afrique, et l’on paraît fort disposé à ne pas repousser sa démission. M. le duc d’Aumale rentre également en France et ne croit pas le moment venu de prendre à Alger une situation permanente. On parle d’un long intérim, qui serait confié au général de Lamoricière, et d’une modification à l’ordonnance constitutive du 15 avril dernier, qui aurait pour effet de donner, en Algérie, à l’administration civile, des attributions plus étendues.

Rien ne se fera d’ailleurs avant les élections, et toutes les préoccupations du ministère sont dirigées aujourd’hui vers cette pensée, devant laquelle disparaissent pour lui toutes les autres. Dans six semaines, en effet, une chambre nouvelle viendra présider aux destinées de l’avenir, et sous moins d’un mois la