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Cornwallis des prodiges d’activité à réaliser au dehors. Le même sentiment fait la grandeur de la Russie et des États-Unis d’Amérique. Pourquoi l’Autriche touche-t-elle à sa décadence, si ce n’est parce qu’elle est contrainte de vivre sur le passé, et qu’il ne lui reste plus aucun agrandissement à poursuivre ? Pourquoi au contraire la Prusse se présente-t-elle avec une tout autre physionomie ? N’est-ce pas parce que cette puissance est vouée à ce fécond travail de l’unité allemande dont elle est le principal instrument ? n’est-ce pas parce qu’elle poursuit aujourd’hui sous une forme commerciale une œuvre qui se développera plus tard sous une forme constitutionnelle ? La France ne peut pas consentir à se laisser classer à la suite de la Péninsule et de l’Autriche ; il faut qu’elle conserve son autorité au milieu de ces nations actives et fécondes qui n’occupent pas au soleil une place inutile. Désabusée de la domination militaire, aspirant plutôt en Europe à un rôle de redressement pour les nationalités opprimées qu’à des agrandissemens territoriaux pour elle-même, la France ne peut trouver que dans une vaste expansion maritime et colonisatrice un débouché à toutes ses forces et un théâtre à sa puissance. Pour ne pas comprendre la grandeur du rôle que nous prépare la possession d’un vaste littoral en Afrique, pour refuser de se l’assurer par de longs et grands sacrifices, il faut appartenir à la triste école aux yeux de laquelle il n’y a d’utilité que dans les dépenses immédiatement productives. Au dire de ces économistes, pour lesquels toute la politique gît dans l’arithmétique, l’établissement de l’empire anglais aux Indes a été le plus grand malheur qui ait frappé depuis un siècle le peuple britannique ; et, pendant que toute une nation bat des mains aux héroïques soldats qui consomment la conquête de Lahore et aux marins qui ouvrent la Chine, ces impassibles calculateurs exposent doctement comme quoi le capital dépensé n’est pas en rapport avec les intérêts, et comme quoi la conquête d’un empire de deux cent millions de sujets a été un mauvais placement. Cette secte sans ame, mais non sans suffisance, a dans nos chambres françaises quelques rares adeptes aux yeux desquels l’idéal de la politique consisterait à faire de la France une vaste ruche de travailleurs constamment occupés ; ils donneraient toute notre marine pour quelques kilomètres de chemins vicinaux, et échangeraient avec bien plus de plaisir encore tous les collèges où l’on enseigne le grec et le latin pour quelques comices agricoles, où l’on professe le culte exclusif de la betterave et de la pomme de terre. M. de Lamartine est venu couvrir de l’éclat de sa parole la pauvreté de ces théories, et a essayé de décourager la France de sa grande entreprise en invoquant une incompatibilité prétendue entre le génie arabe et la vie sédentaire, incompatibilité démentie par tous les faits de l’histoire et par l’existence même des Kabyles etc. des Maures au sein de l’Algérie.

Les conclusions du débat ont été de nature à rassurer les plus timides. Les plus ardens détracteurs de M. le maréchal Bugeaud n’ont pas osé contester les résultats militaires de ces dernières années, et ont reconnu par leur silence que, si la guerre était encore une difficulté pour la colonie, elle n’était plus un péril. Quant à ce qui touche la colonisation, il a été facile à l’honorable M. Dufaure de rétablir la vérité des faits. Ce n’est que depuis 1838 que le gouvernement français a manifesté la ferme intention de coloniser l’Algérie ; ce n’est qu’en 1842 que des efforts vraiment sérieux ont été tentés pour parvenir à cette colonisation. Depuis cette époque, des résultats qui ne sont pas sans importance