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n’a pas besoin de recourir à ces vérités qui seraient fort à leur place dans un précis d’histoire.

M. Henri de Lacretelle est aussi plus heureux dans les Nocturnes, parce qu’il obéit à une autre inspiration, parce qu’il met parfois dans sa poésie une pensée qui la colore et l’anime comme un feu intérieur. Or, lorsqu’on se rattache à une pensée donnée, claire, qui vise à l’élévation, il est plus difficile que l’imagination s’égare ; elle se sent retenue jusqu’à un certain point, et il y a chance du moins pour que la part de la raison soit faite dans ce qu’elle produit. Le jeune auteur s’était déjà fait connaître par un autre volume, les Cloches ; les Nocturnes valent mieux à notre avis. M. de Lacretelle a gagné quelque chose au contact de cette aimable vieillesse qui disait si bien récemment à ces cœurs blasés avant d’avoir vécu :

Donnez-moi vos vingt ans, si vous n’en faites rien !


Douce philosophie faite pour préserver au moins d’un écueil. C’est un touchant mélange de la vieillesse de l’âge et de la jeunesse du cœur que M. de Lacretelle a saisi avec une piété filiale lorsqu’il dit dans la pièce à son père :

Ta vieillesse sereine a retardé le temps.

Oh ! vis pendant long-temps de cette double vie !
Reste jeune et retiens des jours lents à finir,
Pour aimer trois enfans et leur mère ravie…
Et ne sois vieux jamais qu’afin de les bénir.

Tel est le pouvoir d’un sentiment pur et vrai ; les Nocturnes contiennent notamment un morceau plein de délicatesse et d’esprit, — c’est le Livre, ou plutôt les Livres, effroi de l’enfance et qui deviennent bientôt la plus chère consolation. Sincères compagnons qu’on retrouve toujours ! on met à les aller rejoindre le même empressement qu’on mettait autrefois à les fuir, et les plus vieux ne sont pas ceux qui effraient davantage. Auprès de ceux-ci, qui ont subi l’épreuve du temps et dont la victoire n’est autre que celle de la vérité immortelle, n’est-on pas sûr de découvrir sans cesse quelque nouvel aliment pour l’esprit et pour le cœur ? « O livres ! peut-on dire avec l’auteur,

Confondez, quand j’écoute à genoux votre voix,
Dans l’amour d’aujourd’hui la haine d’autrefois !

Si tout était ainsi, il n’y aurait à faire que la part de l’éloge ; mais il y a celle de la critique. Si M. de Lacretelle s’éloigne de beaucoup de jeunes poètes par la finesse et la grace qui percent dans le Livre, il s’y rattache par la diffusion qui règne dans d’autres morceaux plus nombreux, par l’absence d’un réel sentiment poétique en maint endroit. Qu’on prenne les Faucheurs par exemple ; on peut s’attendre à quelque large tableau de cette nature printanière qui livre ses beautés à l’homme, de ces grandes prairies qui vont se peupler des troupeaux chantés par Virgile. Voyez cependant : après mille puérils détails descriptifs où se perd l’auteur faisant parler le papillon et l’oiseau, la pensée s’échappe tout à coup, allant aboutir à cette comparaison peu nouvelle de Dieu faucheur des hommes. Il en est de même de toutes ces pièces qui n’ont de la poésie que la rime : seize ans, rendez-vous prés d’une fontaine, comparaison, paradoxes,