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la fait ressembler à ces vieux chants que les Germains chantaient le soir en chœur vers la fin du printemps, lorsque les chênes druidiques commençaient à se couvrir de feuilles. » Chez les Germains, il n’y eut jamais rien de sacerdotal ni de druidique. Plusieurs historiens de la littérature allemande, entre autres Gervinus, ont expressément remarqué que les traditions les plus reculées montrent les Germains menant librement une vie guerrière sans être gouvernés par une caste sacerdotale, comme les Gaulois l’étaient par les druides. Quand les Germains chantaient en chœur autour des chênes, au-delà ou en-deçà du Rhin, ils ne s’inquiétaient guère si ces arbres étaient druidiques. Entre les mœurs des Germains si naïves, si libres, et le sombre druidisme, il y avait un abîme. Nous savons bien que M. Henri Blaze n’a pas eu l’intention systématique de nier cette différence profonde, mais elle se trouve implicitement méconnue dans le commentaire dont il a fait suivre le petit poème d’Uhland. Nous ne voudrions pas que la critique de M. Henri Blaze, où il y a un sentiment si élevé de l’art, pût perdre quelque chose de son autorité par des assertions inexactes ou vagues. La diffusion règne parfois dans son style. Dans l’abondance des idées et des images, l’écrivain ne veut rien perdre. Il répand tout ce qu’il possède devant le lecteur, qu’il risque à la fin de fatiguer, et il ne s’aperçoit pas qu’il s’affaiblit lui-même en se prodiguant. Dans le morceau si intéressant et si poétique que M. Henri Blaze a consacré à Rückert, n’y a-t-il pas trop de splendides couleurs, trop de saphirs, de diamans, de colliers de perles, de roses de Schiraz, de tissus de Cachemire ? Sous tant de magnificences, sous tant de draperies brillantes, la pensée, le dessin, disparaissent. Ce sont là, au surplus, de ces défauts que le temps et la réflexion effacent. Laissez quelques années s’écouler, et à la place de cette exubérance vous trouverez une richesse solide que saura gouverner une main habile et ferme.

L’imagination dans la critique, tel est le caractère du talent de M. Henri Blaze. Il apprécie et analyse les poètes avec un sentiment poétique à la fois profond et passionné. Il aime les uns, il prend parti contre les autres ; parfois il a plutôt les prédilections et les antipathies d’un artiste que les jugemens calmes d’un arbitre tout-à-fait impartial. En face des écrivains et des poètes de l’Allemagne, ses préférences ne sont pas douteuses ; il se déclare en faveur de tous ceux qui, à des points de vue différens, qu’on les appelle romantiques, mystiques ou panthéistes, ont gardé le culte désintéressé de l’art. Ce choix nous paraît naturel, et, sous beaucoup de rapports, il est le nôtre : c’est là qu’est la grandeur intellectuelle de l’Allemagne. Cependant, de l’autre côté du Rhin, il y a en ce moment force poètes politiques. Quelle est la raison de leur avènement ? M. Henri Blaze ne l’a pas cherchée. Il s’est contenté de nous dire qu’il n’aimait pas ces poètes, qu’ils avaient à ses yeux l’inexpiable