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qu’ils ont remportée sur l’étranger paraît inutile, pourquoi, au milieu d’eux, rien ne s’est éclairci. « Cependant vous ne deviendrez vraiment libres que lorsque vous aurez fondé votre droit. » Et les sages, les savans, oublieront-ils que les simples ont payé de leur sang l’établissement à venir de la liberté ? Le poète termine en disant qu’il ne peut encore ni louer, ni condamner ; partout il trouve la désolation. « Cependant, ajoute-t-il, j’ai vu briller dans plus d’un œil un généreux éclair, et j’ai entendu les battemens de plus d’un cœur. » Comment ne pas aimer ces accens purs et fermes par lesquels Uhland exprimait l’attente, les besoins de l’Allemagne, et rappelait à chacun ses devoirs ? La poésie politique est donc dans la nature des choses, comme la poésie philosophique, comme la poésie religieuse ; elle aussi peut, par de grands effets, susciter dans les cœurs une émotion profonde, mais elle doit vaincre des difficultés peut-être plus grandes encore que celles dont il faut triompher dans les autres parties de l’art. Des esprits plus pétulants que forts s’imaginent qu’ils ont tout à gagner pour la gloire de leur muse à se faire les interprètes des sentimens et des passions populaires. Ils se mettent à l’œuvre, ils écrivent sous la dictée de la foule ; maintenant ont-ils songé à quoi ils s’engageaient en cherchant leurs inspirations dans les sentimens de la multitude ? À donner à ces sentimens une étincelante et magnifique expression. Plus le fond est vulgaire, plus la forme doit être belle. Autrement, qui distinguera l’écrivain de ceux dont il flatte les passions ? Nous doutons que les jeunes hommes qui aujourd’hui se disputent en Allemagne la palme de la poésie politique se soient bien rendu compte de toutes les conditions du genre dans lequel ils ambitionnent de primer. Personne d’entre eux n’a encore été avoué par l’Allemagne, qui a le droit d’être difficile en matière de poésie ; chacun d’eux réussit plus ou moins à grouper autour de lui une petite coterie, pas un n’a pour auditoire la nation elle-même. Encore un coup, ce n’est pas la poésie politique que nous blâmons, son avènement nous paraît même provoqué par la fermentation progressive de l’Allemagne ; mais nous attendons encore ces œuvres saines et fortes dont l’éclat littéraire assure la puissance morale.

Dès les premiers jours du XIXe siècle, on prêta en France une attention sérieuse aux productions du génie allemand. Déjà dans la dernière moitié du siècle précédent la traduction de plusieurs ouvrages de Wieland avait été remarquée ; au milieu des orages de la révolution, les Brigands de Schiller furent joués sur le théâtre du Marais ; c’était une imitation informe de l’œuvre du poète ; toutefois la conception primitive y gardait encore de la puissance, et le drame eut un succès populaire. Après Schiller, Kant eut son tour. Charles Villers, en 1801, fut le premier Français qui exposa les principes du fondateur de la philosophie allemande. À la même époque brillaient dans les salons de Paris