enfin un voyage en Suisse, l’éloignèrent de ces travaux ; la poussière s’accumula sur les papiers, et la moisissure envahit les préparations anatomiques. La botanique n’occupa que quelques années de la vie de Goethe ; néanmoins ce court espace lui suffit pour écrire la Métamorphose des Plantes. C’était, comme l’indiquait plus tard M. Alexandre de Humboldt par un dessin allégorique, c’était la poésie soulevant le voile de la nature. À Carlsbad, à Marienbad, Goethe fit des observations géologiques dont les voyageurs qui visitent la Bohème connaissent tout le prix. Enfin, dans une Théorie des couleurs, il ne craignit pas de combattre les idées de Newton, et sur ce sujet, qui avait pour lui un attrait particulier, il exposa avec une lucidité merveilleuse les opinions des philosophes anciens et modernes. Ainsi le poète était savant, et quand nous l’entendrons s’écrier dans ses vers : « Comme la campagne et la prairie étincellent dans la rosée ! comme les fleurs s’inclinent, alentour sous leur poids de diamant ! que les vents fraîchement soupirent à travers les buissons ! que les doux oiseaux chantent ensemble un gai concert aux rayons du soleil ! » quand nous l’entendrons se réjouir ainsi en face de la nature, nous saurons qu’il l’a patiemment étudiée dans ses phénomènes, dans ses lois, et que l’aliment de son enthousiasme était la science.
Dans la sphère de l’art et de la pensée, Goethe, tel que nous le connaissons maintenant, ne pouvait avoir de culte que pour ces génies qui reflètent, pour ainsi parler, l’étendue et la vérité de la nature : aussi préféra-t-il entre tous Shakespeare et Spinoza.
En présence de Shakespeare, Goethe dut naturellement éprouver deux sentimens contraires, la sympathie et la crainte. Comment n’eût-il pas fait ses délices de ce poète si réel, si libre dans son allure, si puissant, si vrai dans ses créations ? Heureux poète, a pu souvent penser Goethe, qui vivait dans une époque où l’esprit critique n’était pas encore connu[1], où l’artiste exerçait sur les imaginations une influence pleine, directe, où tout était nouveau à dire, à peindre, à chanter, où la foule contemplait avec un enchantement respectueux le monde que lui ouvrait la magie d’un art souverain ! Goethe comprenait encore que la vie circulait si abondamment dans l’œuvre de Shakespeare, que ceux qui venaient après lui devaient paraître l’imiter, quand ils s’efforçaient, eux aussi, d’animer leurs drames de toute la réalité de la vie. Toutefois cette appréhension ne l’empêcha pas de lier le plus étroit commerce avec le poète de Stratford. Avec quelle affectueuse pénétration il savait en sentir, en expliquer le génie ! Sous la plume de Goethe, le commentaire de Shakespeare s’élève à la beauté d’une création originale. Écoutons
- ↑ L’érudition régnait à la cour d’Elisabeth, mais non pas la critique.