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lieux où la destinée l’entraînait. Les Germains avaient leurs femmes pour témoins de leurs exploits, et ils combattaient avec leurs enfans, qui imitaient ou vengeaient leurs pères. Avec le temps, de pareilles mœurs devaient être fécondes pour l’art. Elles expliquent et justifient l’originalité de la poésie allemande dans le moyen-âge. Pour être simple, cela n’est pas moins vrai. Dans le xiie et le XIIIe siècle, est-ce le Nord qui s’est mis à l’école du Midi, est-ce le Midi qui a répété les leçons du Nord ? Eh ! minnesingers et troubadours ont éclaté en même temps,

Et cantare pares, et respondere parati.


Sans doute, les Provençaux et les Allemands ne sont pas restés vis-à-vis les uns des autres sans contact et sans affinités. Ne s’étaient-ils pas vus sous la tente du croisé ? Mais leur indépendance réciproque n’a pas péri dans ces rapprochemens amenés par la guerre, par les voyages, par les relations politiques devenues plus actives. Le Nord et le Midi vivaient de la même foi, et ils étaient arrivés au même point de civilisation morale. Voilà pourquoi entre eux au moyen-âge il y eut des ressemblances et des emprunts, voilà pourquoi encore tant de sources poétiques jaillirent des deux côtés. Cette simultanéité, qui est la gloire du moyen-âge et dans laquelle la part de la France est grande, se concilie avec ces différences fondamentales que la diversité des origines, des aventures historiques, aussi bien que celle des climats, a mises entre les littératures du Nord et du Midi.

Après les mœurs primitives, la poésie a deux autres sources d’inspirations plus riches encore, la religion et la philosophie. Il y a des siècles où la religion absorbe la philosophie, il y en a d’autres où celle-ci pèse sur la première de tout le poids d’une réaction passionnée. Il y a aussi des époques, comme la nôtre, où les poètes se partagent entre la cause des croyances et celle des idées. Quand le grand moyen-âge eut disparu avec saint Louis et Frédéric II de Hohenstaufen, à la poésie héroïque succéda une épopée religieuse. Sur le seuil du XIVe siècle, Dante, au moment même où la société catholique était menacée par des causes profondes de déchirement, en résumait les croyances, en immortalisait l’esprit dans un poème où se trouvent puissamment associées la théologie, les passions politiques et la poésie. L’Enfer est la véritable épopée catholique, car, deux siècles après, Torquato Tasso sacrifia trop l’originalité du poète chrétien aux réminiscences et au génie de l’antiquité. Ce n’était plus alors l’Italie qui devait féconder tout ce que le christianisme contenait encore de poésie ; pour cette œuvre, elle était redevenue trop païenne.

Le protestantisme accomplit ce que le catholicisme ne pouvait plus faire, et Luther suscita Milton. Au XVIe siècle, le christianisme retrouva une fécondité nouvelle en se déchirant, en se divisant en deux grands