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à un jeune homme, fils de l’aga des Sindgès, tué pour notre cause, s’il savait lire. Pour toute réponse, il fit un signe négatif, et d’un geste orgueilleux montra ses éperons. L’action, l’action, c’est l’élément dont se nourrit l’Arabe, c’est le milieu dans lequel il s’épanouit. Semer l’intrigue, recueillir l’agitation, l’attente, l’émoi, c’est là son drame, son spectacle, sa poésie. Courir les marchés, réunions où se traitent toutes les affaires publiques, traîner un certain nombre de volontés à la remorque de la sienne, combattre des influences rivales, organiser des coups de main contre une tribu ennemie, agrandir sa personnalité et diminuer celle des autres, c’est là sa carrière politique. Est-ce par la lente culture, est-ce par l’industrie, par la spéculation, qu’il augmentera sa fortune ? Non ; c’ost par le pillage, par l’invasion, au premier prétexte de querelle, sur le territoire de ses voisins, par le rapt de leurs troupeaux, de leurs tentes, de leurs femmes et enfans, qu’on leur fera racheter à beaux deniers comptans. Il faut voir un Arabe lorsque, dans une expédition, il tombe sur la trace des bestiaux qui fuient et se dérobent ! Comme son œil s’allume ! comme sa parole éclate en sons impétueux et saccadés ! comme il se grandit sur son cheval ! Il est vrai que, si la médaille est d’or, elle n’est pas sans revers. Aujourd’hui on a le bonheur et la gloire d’être spoliateur, on aura demain le chagrin et la honte d’être spolié, car dans le monde civilisé ou barbare on chemine toujours entre un plus fort et un plus faible que soi ; mais l’Arabe a la philosophie du joueur : il trouve dans le gain une excitation à poursuivre un gain supérieur ; dans la perte, une invitation à épuiser la mauvaise veine jusqu’à ce qu’il parvienne à saisir sa revanche. Cependant il arrive en dernier lieu que chacun est moins riche que s’il était resté tranquillement chez soi ; les troupeaux, traqués dans les montagnes comme des bêtes fauves, sont décimés par la fatigue ; les enfans périssent de misère, quelques hommes par le fer ou le plomb ; en fin de compte, il n’y a, à ce jeu, que la mort qui ait gagné. Mais on a nagé à pleins flots dans les passions, on s’est enivré de désirs, on s’est exalté dans le triomphe, ou l’on a rêvé dans la défaite les joies de la vengeance ; on a vécu. Le plus souvent la guerre ne tient ni au fanatisme religieux ni à l’appel d’Abd-el-Kader ou de tout autre chef influent, ni à quelque grief réel contre le gouvernement des Français : la guerre a sa cause véritable en elle-même, et tout ce qui vient du dehors n’est que prétexte. Les Arabes prennent les armes par cette seule raison, que depuis huit mois, un an, ils les ont déposées et ne veulent pas les laisser rouiller, parce que, dans les ennuis du repos, ils se forgent mille illusions pour s’expliquer et se déguiser leurs anciens désastres, et pour se promettre une fortune toute nouvelle dans de nouvelles hostilités.

Ce n’est donc pas un phénomène, passager que cette succession régulière de soulèvemens et d’apaisemens dans les populations africaines ;